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s’y entre-choquaient en vagues d’écume, et formaient des tourbillons et des gouffres qu’il nous fallait cependant affronter.

« Adroitement dirigée par Swift, l’embarcation donna dans une des passes, qu’elle franchit avec la rapidité de l’éclair, sans laisser aux roches une parcelle de ses flancs.

« Tout à coup, sir Edward sortit de son mutisme pour jeter un hourrah de triomphe. Il venait de reconnaître, au milieu du brouillard qui s’était élevé sur le fleuve, ainsi que cela arrive toujours dans ces parages avant le lever du soleil, quatre des pirogues des Étrangleurs.

« La plus rapprochée était celle où se trouvait lady Buttler.

« Les voiles de mousseline dont elle était enveloppée flottaient au gré du vent et nous permettaient de la distinguer des autres.

« Les Thugs faisaient aussi force de rames, mais il devenait certain que nous nous rapprochions d’eux.

« À plusieurs reprises, ils voulurent se jeter au rivage pour gagner de nouveau la forêt ; mais à chaque tentative, ils furent reçus à coup de fusil par ceux de mes soldats qui occupaient les rives du Palaur, et ils durent reprendre le large.

« Nous marchions avec une vitesse prodigieuse.

« Les Étrangleurs n’étaient plus guère qu’à deux portées de fusil.

« Sir Edward avait mis habit bas, prêt à se jeter à l’eau dans le cas où les ravisseurs de lady Buttler tenteraient de se débarrasser de leur victime en la précipitant dans les flots.

« L’Hindou, notre prisonnier, qui depuis quelques instants s’était soulevé du fond de l’embarcation où il s’était tenu couché jusque-là, et qui, en même temps qu’il prêtait une oreille attentive à tous les bruits, s’efforçait de percer le voile de vapeur étendu sur le fleuve, se dressa tout à coup, pâle, tremblant, ne pouvant prononcer une parole.

« Sa main frémissante s’était dirigée vers les pirogues des Thugs. Ses yeux hagards semblaient regarder au-delà de l’horizon.

« Sa physionomie entière exprimait une indicible épouvante.

« Nous le regardions sans comprendre.

« Ses lèvres blêmes purent enfin laisser échapper un mot :

« — Gyhra ! gyhra ! répétait-il en bégayant, gyhra ! l’abîme ! l’abîme !

« Après un instant d’étonnement, je saisis ce que ces mots voulaient dire, et j’avoue que je me sentis frémir d’effroi.

« Ce n’était plus des hommes, même des monstres, que nous allions avoir à combattre, mais la nature.

« L’hindou, fou de terreur, s’expliqua.

« À un mille en avant de nous était cette chute du Palaur, si célèbre dans le pays par le spectacle admirable qu’elle offre aux regards.