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mat, le séjour à terre, des distractions pouvaient seuls sauver la jeune femme.

C’est dans ces conditions morales et physiques que les fugitifs étaient arrivés à Ceylan, où Yago s’y prit si généreusement avec les ouvriers que, moins d’un mois après leur débarquement, ses maîtres étaient installés dans leur habitation, véritable palais, meublé avec tout le confort européen et le luxe asiatique.

Harris y occupait, dans une des ailes, un appartement tout à fait indépendant, et l’un de ses premiers soins avait été de se mettre à la disposition du gouverneur pour donner gratuitement ses soins aux malheureux.

Tous les matins, il se rendait à Colombo, où il avait un cabinet de consultation dans lequel il passait deux heures, recevant là tous ceux que sa science ou sa bourse pouvaient soulager.

Cette existence durait déjà depuis quelques semaines, et Ada semblait renaître sous le climat bienfaisant de l’île, lorsqu’un matin, au moment où le docteur allait partir pour la ville, Nadir se présenta chez lui.

— Mon ami, dit l’Hindou à Harris, l’heure est venue de mettre à exécution mes projets. Il faut que je me rende sur le continent ; j’ai là un devoir sacré à remplir.

— Lequel ? demanda l’Américain, qui s’attendait d’ailleurs à quelque nouvelle confidence du mystérieux personnage.

— Quand j’ai quitté l’Inde, répondit Nadir, en enlevant miss Ada au misérable sir Arthur Maury, j’ai laissé celle qui était ma fiancée, Sita. C’est la fille d’un homme qui m’a servi de père ; je ne puis l’abandonner, car elle m’attend toujours avec la soumission et la fidélité des femmes de notre race. Je lui ai fait savoir que je serai dans douze jours à Tanjore. Le brahmine Nanda, à qui j’ai confié Sita le matin de mon départ, l’amènera lui-même au rendez-vous que je lui ai donné.

— Mais, miss Ada ?

— L’amour n’est pour rien dans la démarche que je vais faire, et celle dont le destin, comme par une étrange ironie, a fait la compagne de ma vie, sais bien que mon cœur ne peut battre que pour elle. Ada m’accompagnera jusqu’à Trinquemale, si vous voulez bien me suivre.

— Vous n’en doutez pas.

— J’ai donné des ordres à Léoni. Il va faire le tour de l’île et l’Éclair m’attendra à Trinquemale pour me conduire jusqu’à l’embouchure du Kavery. De là, je me rendrai par terre à Tanjore. Yago a mes instructions ; tout sera prêt demain. Nous suivrons, en chassant, la route de Colombo à Candy et ensuite celle de Candy à Trinquemale. Ce voyage, à dos d’éléphant et en palanquin, achèvera peut-être de rétablir notre chère malade.

— Je l’espère également, dit le docteur, et je suis tout à vos ordres.