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— Voyons, raconte-moi comment les choses se sont passées.

— Ça vous intéresse donc beaucoup ?

— Maître Bob, je vous ai déjà donné vingt livres. En voici cinq, et je n’en resterai pas là si vous me servez bien ; mais faites-moi le plaisir de ne pas oublier que je vous paye pour me dire la vérité. Souvenez-vous aussi que le cabinet de sir Richard Mayne est de l’autre côté de la rue. Vous pouvez voir d’ici les fenêtres de l’honorable chef de la police métropolitaine.

Le premier argument du capitaine George avait certainement sa valeur, et le misérable le prouva en prenant les cinq livres qu’il fit lestement disparaître dans sa poche ; mais le second était peut-être plus puissant encore, car on sait que le nom de sir Richard Mayne avait, pour de fort bonnes raisons, le privilège de rendre Bob souple comme un gant.

Aussi s’efforça-t-il de sourire en répondant à son interlocuteur :

— Je plaisantais, capitaine, je plaisantais, pas autre chose ! La preuve c’est que je vais vous dire tout ce qui s’est passé. Vous allez voir que je ne suis pas précisément un imbécile.

— Je ne l’ai jamais pensé un instant, maître Bob ; je vous écoute.

— Vous vous rappelez que lorsque je vins vous trouver Russell place, le lendemain de la nuit où vous m’aviez ordonné de surveiller la maison de Bedford square, je pus seulement vous dire qu’elle était habitée par le comte de Villaréal, sa femme et le mulâtre, et que jamais on n’y voyait entrer de visiteurs.

— C’est fort bien. Alors je t’ai chargé de surveiller Yago, tandis que moi, je me promettais de guetter le comte de mon côté. Seulement, comme pour des motifs que j’ignore, tu semblais croire que le mulâtre ne s’empresserait pas de te prendre pour confident, j’ai réduit ton rôle à celui-ci : te rencontrer avec lui dans une foule comme par hasard, et lui dire à haute voix quelques mots en hindoustani, mots que j’écrivis même sur un bout de papier afin que tu pusses les lire à ton aise jusqu’à ce qu’ils fussent gravés dans ta mémoire : Sahib Yago, Bunde-ne su, adut asil kee.

— C'est-à-dire : Bonjour, seigneur Yago, que je suis heureux de vous revoir ! Cinq minutes après votre départ, je savais ça comme le God Save the Queen.

— Alors ?

— Alors, pendant que vous cherchiez en vain à rencontrer le comte de Villaréal, car vous m’avez dit que nous n’aviez pu l’apercevoir une seule fois…

— C’est vrai.

— Moi, je perdais également mon temps à poursuivre ce satané Yago. Ce diable de mauricaud ne sortait jamais qu’en voiture, et je désespérais