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seulement du bout des lèvres dit assez avec quelle fidélité il a tenu son serment.

Cependant, malgré le flegme et le calme que lui ordonnent ses nouvelles fonctions, maître Stilson paraît préoccupé.

Il attend bien évidemment quelqu’un, car déjà plusieurs fois il est allé sur le pas de la porte de la taverne pour inspecter la rue.

Ce manège durait depuis près d’une heure, lorsque l’ex-guichetier se dérida tout à coup et poussa un soupir de satisfaction.

Un nouveau client venait d’entrer dans le cabaret.

C’était le digne Bob.

L’honnête tavernier jeta d’abord autour de lui ce regard inquiet et rapide des gens qui craignent toujours de faire une fâcheuse rencontre ; puis, ayant reconnu Stilson, il se dirigea de son côté et s’en vint tomber près de lui, comme s’il fût brisé de fatigue, sur le large banc qui garnissait tout un côté de la salle.

Maître Bob, en effet, paraissait tout à la fois souffrant et fort ému. Stilson s’était aperçu qu’il traînait la jambe, et de plus, il portait sur le côté droit du front un large emplâtre qui, si cela eût été possible, l’eût rendu plus laid encore que ne l’avait fait dame nature.

— Que diable avez-vous donc là ? lui demanda le policeman volontaire, et qu’y a-t-il de nouveau ?

— Ah ! permettez, mon digne ami, que je me remette un peu, répondit le tavernier en gémissant ; je suis rompu et ce ne sera pas trop d’un bon verre de brandy pour me rendre la mémoire.

Passant immédiatement du désir à l’exécution, Bob appela la servante du cabaret et lui ordonna de lui apporter un flacon d’eau-de-vie.

— Parfait ! dit-il, après avoir avalé d’un seul trait un grand verre de sa liqueur favorite, parfait ! Tiens ! que buvez-vous là ? Du pale ale ! Un gaillard comme vous. Allons donc, goûtez-moi ce brandy !

— Non, je ne bois pas de liqueur, répondit sèchement Stilson.

— Ah bah ! Votre Honneur serait-elle de quelque société de tempérance ? poursuivit Bob avec ironie ; teetotaller peut-être ! Mon compliment sincère, mais moi, j’aime mieux boire de tout que de ne pas boire du tout.

Le brave guichetier allait probablement se fâcher de ces plaisanteries qui ravivaient ses plaies, mais l’entrée du capitaine George dans la taverne le calma fort à propos.

Le jeune officier s’était rapidement rapproché de nos deux personnages.

— Eh bien, demanda-t-il à Bob, as-tu réussi ?

— Oui, monsieur, et j’ai failli y laisser ma peau. La phrase a fait un tel effet que j’ai pensé que le mulâtre allait m’achever. Voilà ma situation perdue, car pour cent livres, je ne passerais pas aujourd’hui dans Star lane.