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Elle osait à peine se hasarder sans escorte dans la campagne, même aux environs de Madras, jusqu’aux Gardens, ce bois de Boulogne de la capitale du Sud.

On n’avait d’abord voulu voir d’Étrangleurs nulle part ; on avait traité la croyance à leur existence de rêve, de superstition, de terreur folle ; maintenant on les supposait partout, au milieu des serviteurs, des cipayes[1], des marchands.

Les choses en étaient là, et la terreur allait en croissant, lorsqu’un jour, lord Bentick fut averti qu’on venait d’arrêter à Tanjore un Hindou entre les mains duquel on avait trouvé une des bagues de lady Buttler.

Ce bijou avait été reconnu par un des amis du colonel, un soir qu’après une fête à la grande pagode, l’indigène l’avait offert à une des danseuses du temple.

C’est à sir Edward lui-même que lord William voulut confier le soin d’amener à Madras l’individu arrêté, dont on ignorait le nom.

Le colonel partit immédiatement avec une escorte nombreuse, et huit jours plus tard, Madras apprenait avec stupéfaction que l’un des chefs les plus renommés du thugisme, celui dont le nom était un objet d’horreur du Nord au Sud, Feringhea enfin, était le prisonnier fait à Tanjore.

C’était là une capture tellement inespérée que personne n’y pouvait croire. Les autorités elles-mêmes en doutaient.

Ce chef, en effet, passait pour un être mystérieux, insaisissable, pour ainsi dire invisible.

On ne connaissait ni son âge ni ses traits. Les uns disaient que c’était un vieillard hideux et gigantesque ; les autres prétendaient au contraire qu’il était jeune et beau comme le Bacchus indien.

Pour les Hindous, Feringhea était un héros qui descendait directement de Schiba, l’un des plus grands de leurs dieux. Ils lui accordaient un pouvoir surnaturel.

Ce qui était certain, c’est que l’apparition de Feringhea avait été souvent signalée dans le Sud au moment même où on racontait qu’un crime avait été commis sous sa direction à trois cent lieues de là, dans une des provinces du Nord.

Et c’était l’homme auquel on accordait une telle puissance qu’on avait ainsi arrêté sans lutte ! C’était ce chef invincible qui s’était fait prendre comme un voleur vulgaire !

Il y avait dans ce fait un mystère que chacun soupçonnait avec un redoublement d’épouvante. Ce n’était que bien plus tard qu’on devait en avoir l’explication !

  1. Soldats indigènes.