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« Le lugha qui marchait le dernier traînait un lourd fagot d’épines qui effaçait toute trace de pas sur le sable.

« Sur le bord du ruisseau où avait eu lieu le meurtre, nous ne retrouvâmes que le gooroo qui nous attendait en remerciant Kâli d’avoir ainsi favorisé notre expédition.

« Les autres hommes de la troupe avaient marché un peu en avant avec la voiture et les bœufs.

« Nous les rejoignîmes à un demi-mille de là.

« La troupe tout entière alors, obéissant aux ordres de Budrinath, traversa un jungle épais pour gagner une petite plaine découverte, d’un aspect sauvage, où nous allions pouvoir nous reposer un peu de nos fatigues et tenir conseil.

« Nous fûmes bientôt tous réunis, des feux furent allumés, la houka (la pipe) passa de bouche en bouche, et chacun raconta ce qu’il avait fait.

« J’avais pris place sur la couverture blanche des chefs, ainsi que j’en avais le droit puisque j’avais conquis le rang d’Étrangleur. Je n’avais pas oublié, avant de me mêler à mes compagnons, la cérémonie obligée du tuponee, c’est-à-dire le partage d’un morceau de sucre consacré entre mon gooroo et moi.

« Cet acte accompli, j’avais défait le nœud de mon mouchoir, et après avoir joint à la pièce d’argent qu’il contenait quelques roupies, j’en avais fait cadeau à mon maître avec les marques du plus profond respect.

« C’était là la dernière scène de ma première initiation.

« Cela terminé, il fallut songer au partage du butin, qui se composait, indépendamment d’une somme considérable en or, de diamants, de perles et de riches étoffes de cachemir.

« Deux parts égales furent faites pour les deux troupes, l’argent fut immédiatement distribué, et chaque chef de bande garda les bijoux et les étoffes pour s’en défaire au meilleur prix possible dans les villes voisines.

« Il ne restait plus, après cela, qu’à nous séparer, car il eût été imprudent de continuer notre expédition en aussi grand nombre. Ali et Budrinath se donnèrent rendez-vous pour la fin de la saison, et, avant le jour, Ali prit la route de l’Ouest, pendant que nous poursuivions notre chemin en inclinant un peu vers l’Est.

Lord Bentick. — Quelle fut la part du butin de chacun des hommes ?

Feringhea. — Chacun des hommes eut 1,000 roupies (2,500 francs) d’argent monnayé et près du double lorsque les pierres précieuses et les étoffes eurent été vendues à Hyderabad.

Lord Bentick. — Et vous ?

Feringhea. — Moi, je touchai immédiatement 2,000 roupies, un fort beau diamant et un châle de Kachemir.