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— Ah ! mon cher, reprit sir Arthur, qui étudiait l’exaltation croissante de l’ivrogne, les femmes cachent si bien leur jeu, que si tu n’étais pas mon ami, il y a longtemps que je ne serais pas du tout tranquille. Tu comprends qu’elle habite un appartement complètement séparé, avec un escalier et une porte sur le jardin, et que ma foi, il ne lui serait pas difficile de faire de moi un mari comme bien d’autres. Imagine-toi que, comme par un fait exprès, il n’y a pas un domestique dans cette partie de l’hôtel, sauf la femme de chambre de lady Maury, qui la quitte tous les soirs à dix heures pour aller coucher au second étage, auprès de sa fille. Si j’avais été amoureux de ma femme, j’aurais certainement fait condamner la porte du jardin. Mais bast ! les amoureux sont si bêtes et si peu hardis qu’ils m’ont toujours inspiré plus de pitié que de peur.

Albert, qui se promenait à grands pas, la tête en feu, ne se rapprochait de la table que pour vider coup sur coup son verre, que sir Arthur avait bien soin de ne jamais laisser vide.

Il regardait parfois le gentilhomme d’un air hébété, comme pour s’assurer que c’était bien lui qu’il entendait.

— Sais-tu qu’elle est vraiment jolie, ma femme ? continua l’infâme. Imagine-toi qu’un jour j’ai failli, parole d’honneur, en devenir épris. J’étais entré chez elle, je ne sais pourquoi ; elle était déjà couchée et profondément endormie, grâce à la potion opiacée qu’elle se croit obligée de prendre chaque soir pour appeler le sommeil. Tiens ! c’était avant-hier, je crois bien. Je m’étais approché de son lit sans qu’elle m’eût entendu, quoique je n’eusse certainement pris aucune précaution ; elle y était étendue dans une pose pleine d’abandon, ses longs cheveux blonds flottant autour d’elle, son peignoir de dentelle ne voilant qu’à peine ses épaules. Je l’ai appelée en vain ; ce premier sommeil est toujours, chez elle, extrêmement profond, et j’ai été obligé de me sauver bien vite pour ne pas succomber à la tentation.

— Veux-tu bien te taire, Arthur ! lui dit soudain avec colère Albert Moore, qui s’était arrêté devant lui et dont la raison s’égarait à ce tableau que le misérable faisait, à dessein, séduisant et irrésistible.

— Comment, me taire ! Ah çà ! je ne puis pas, maintenant, parler de ma femme ! Tant pis pour toi, si tu en es amoureux !

— Assez ! te dis-je ; la tête me tourne, je n’y vois plus ; allons-nous-en, tu me rends fou !

— Soit ! un dernier coup et allons voir ce qui se passe au club. Permets-moi seulement d’écrire un mot.

Et pendant que le malheureux Albert cherchait à oublier tout à fait en buvant encore, sir Arthur, en contrefaisant son écriture, traça rapidement quelques lignes qu’il mit sous une enveloppe et glissa dans son carnet.