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— Bien obligé ! tu aurais dû me laisser dormir.

— Et je me disais qu’il fallait en finir une bonne fois.

Albert venait d’apercevoir les pistolets.

— Et tu m’invitais, fit-il avec une grimace des plus significatives. Grand merci, ma foi !

— C’est si vite fait !

— Trop vite même, beaucoup trop vite !

— Tu tiens donc beaucoup à la vie ?

— Peuh ! ce n’est pas cela, mais la vie, elle, a l’air de tenir beaucoup à moi. Sauf l’argent, je ne vois pas trop ce qui me manque.

Albert Moore disait vrai.

Grâce à son robuste tempérament, les débauches n’avaient encore creusé aucune ride sur son visage, tandis que sir Arthur, à peine âgé de quelques années de plus que son compagnon, était déjà fatigué et usé.

— Écoute-moi, dit ce dernier à son ami, j’ai fait demander Abraham.

— Le brave homme !

— Oui, eh bien ! si le brave homme, comme tu l’appelles, ne peut ou ne veut pas me donner pour demain les 15,000 livres dont j’ai besoin, je te jure que je n’hésiterai pas pour aller rejoindre mes aïeux.

— Qui seront bien enchantés, le crois-tu ?

— Tu plaisantes ; mais rien n’est plus sérieux. Je dois à Dieu et au diable.

— Dieu, ce ne serait rien ; c’est un créancier patient : Patiens quia æternus, mais au diable, c’est différent.

— Je n’ai pas envie d’être chassé du club, ce qui arriverait si je ne payais pas les quinze mille livres que j’ai perdues cette nuit sur parole.

— Ah çà ! sais-tu bien que vous autres gentilshommes, vous avez de singulières susceptibilités, que tu me permettras de ne pas partager, moi, fils de bourgeois. Vous voulez bien ne pas payer votre carrossier, votre tailleur, tous vos fournisseurs. Vous voulez bien emprunter à tous les usuriers de la terre l’argent que vous savez fort bien ne pouvoir jamais rendre. Oh ! je ne parle pas pour toi, mais enfin, cela arrive, tu le sais tout comme moi ; et parce que, entraîné par la fièvre du jeu, tu es devenu le débiteur d’un homme de ta caste, de ton rang, et que tu ne peux immédiatement régler cette dette, tu ne parles rien moins que de te brûler le peu de cervelle qui te reste.

— C’est absurde, je le sais bien.

— J’allais le dire.

— Mais c’est comme ça ! Et puis cette vie commence à m’ennuyer. Il n’y a pas jusqu’à Jack qui ne me demande de l’argent, et qui exige que je sois poli avec lui tant que je ne l’aurai pas payé.