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Mais lady Maury avait fait si mauvais visage à celui qu’elle savait le compagnon de débauches de son mari qu’Albert, quel que fût son aplomb, n’avait jamais osé passer de longues heures dans l’hôtel du baronnet.

Aussi fit-il sincèrement et cyniquement son compliment à sir Arthur lorsqu’il lui annonça la mort de sa femme.

Il comprit que son ami allait désormais être tout à lui.

Quand sir Arthur se vit seul à trente ans avec trois enfant en bas âge, car son fils aîné avait cinq ans à peine, il fit à son veuvage le sacrifice de quelques semaines de retraite : c’est-à-dire qu’il alla passer un mois ou deux à la campagne avec Albert Moore, maudissant du fond du cœur cette espèce de sagesse que le respect du monde lui ordonnait.

Puis il confia ses enfants à une gouvernante qui, sous les yeux de son beau-père, devait les élever au château d’Esley, dans le Devonshire, où depuis longtemps demeurait le vieillard, et il revint rapidement reprendre, à Londres, son existence frivole et honteuse.

Aucun frein ne devant plus le retenir désormais, il était facile de pressentir avec quelle rapidité il allait courir à la ruine.

Sa rentrée au club avait été saluée par les hourrahs frénétiques des honorables membres présents ; et, vingt-quatre heures après son retour, il n’était pas plus question de lady Maury et de ses enfants que s’ils n’avaient jamais existé.

C’est à peine si, de loin en loin, le gentilhomme faisait prendre des nouvelles de ces derniers, lorsqu’il était accablé par la lassitude ou sous le coup de quelque perte importante d’argent, perte qui, pour trop peu d’instants, le rappelait à la réalité de sa situation.

Un triste jour, il rentra chez lui ruiné, après une nuit fiévreuse qui non-seulement lui avait enlevé tout ce dont il pouvait disposer, mais où, sur parole, il avait perdu une somme qu’il savait ne pouvoir se procurer facilement.

Albert n’avait pas été plus heureux, et les deux joueurs s’étaient séparés à la porte du club en se donnant rendez-vous dans la journée, afin d’aviser aux moyens bons ou mauvais de se tirer d’affaire.

Albert Moore habitait, à deux pas de son ami, un petit appartement de garçon.

Lorsque sir Arthur mit le pied dans son hôtel situé dans Piccadilly, en face de Green-Park, il était près de dix heures.

Son valet de chambre l’attendait patiemment dans sa chambre à coucher.

Jack, ce serviteur, était un de ces domestiques anglais, gourmés, flegmatiques, qui sont d’une régularité parfaite dans leur service, mais sans l’ombre d’affection pour leurs maîtres.

Ils les servent pour de l’argent ; leur temps seul leur appartient.