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net n’avaient pour ainsi dire pas connu lady Maury, car elle avait presque toujours vécu au fond de son hôtel ou à la campagne, dans une retraite qu’expliquait suffisamment le genre de vie de son mari, homme de sport et de club par excellence.

On disait dans le monde que lady Maury avait succombé aux suites de sa dernière couche, et que sa fille Ellen lui avait coûté la vie ; mais il est probable que la conduite de son époux et le chagrin qu’elle avait éprouvé de ses désordres l’avaient depuis longtemps plongée dans un état de langueur qui ne lui avait pas permis de lutter victorieusement contre la maladie.

Sir Arthur, en effet, n’avait épargné à celle qui portait son nom aucune douleur.

Non-seulement il l’avait délaissé, mais encore il s’était traîné dans toutes les débauches, et, sans respect pour celle qui l’avait rendu trois fois père, il avait fait sa société des hommes les plus compromis et des femmes les plus éhontées.

Au nombre de ses amis les moins avouables, venait en première ligne Albert Moore, qui, pour n’être pas gentilhomme, — il était seulement le fils d’un médecin fort honorable, ce que le sot ne pensait pas aussi glorieux que d’être né d’un grand seigneur, — n’en avait pas moins tous les vices qui devaient le lier avec sir Arthur d’une de ces amitiés honteuses faites d’indulgences réciproques.

Albert Moore était un assez joli garçon, que la paresse surtout avait perdu.

Sir Arthur l’avait un jour, ou plutôt une nuit, rencontré dans un mauvais lieu, puis ils s’étaient revus, et le baronnet, qui avait besoin d’un compagnon de débauche, avait fini par adopter Albert, dont la gaîté et l’esprit l’amusaient.

Il comprenait bien que, flatté dans son orgueil, ce fils de bourgeois serait facilement un jour à sa merci, que le besoin pourrait en faire, à un moment donné, un instrument aveugle.

Le père d’Albert, qui était un honnête homme, avait cessé de voir son fils après avoir fait sacrifices sur sacrifices, après avoir usé vainement de toutes les prières et de tous les raisonnements ; et celui-ci ne sortait guère du club, où l’avait fait recevoir son ami, que pour les courses, les salons interlopes et les tavernes.

Sir Arthur, tout en n’ayant pas pour son ami plus d’estime que celui-ci n’en avait pour lui-même, s’était tellement bien habitué à sa société qu’il avait voulu l’introduire dans sa maison, malgré ce respect du domicile que conservent toujours les Anglais les plus viveurs au milieu de leurs désordres.