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Il était évidemment en proie à la plus vive préoccupation.

Yago, qui le suivait des yeux, n’osait lui adresser la parole.

Cet homme était un des Hindous que le fils adoptif du radjah avait pris à son service à Bombay ; il lui avait reconnu une grande intelligence, et il était certain qu’il lui était dévoué corps et âme.

Cependant il ne lui avait confié qu’une partie de ses secrets.

— Trois mois, se disait à lui-même Villaréal, trois mois ! Cette lettre a déjà six semaines de date. Dans un mois et demi, sir Arthur Maury sera ici. Eh bien ! non ! c’est moi qui irai au-devant de lui ! il me rencontrera plus tôt encore qu’il ne l’espère. L’Éclair est toujours armé et prêt à mettre à la voile, n’est-ce pas, Yago ? demanda-t-il à son domestique en s’arrêtant brusquement devant lui.

— Oui, maître ; il est à l’ancre à trois encablures de la Tour de Londres, et son équipage ne met jamais pied à terre.

— Alors tout est bien, j’aurai encore le temps d’en finir ici, laisse-moi !

Yago obéit, mais il venait à peine de sortir qu’il rentra avec une lettre et un assez volumineux cahier qu’on venait de déposer à l’hôtel en recommandant de les remettre de suite au comte de Villaréal.

Celui-ci s’empressa de décacheter la lettre. Elle était du docteur Harris.

« Comte, lui disait-il, vous m’avez demandé quels avaient été mes rapports avec le baronnet sir Arthur Maury, et vous avez douté que mes motifs de haine puissent être aussi sérieux que les vôtres.

« Passez une heure à lire ces notes que je vous envoie, notes rédigées à la hâte dans la crainte de voir mon secret mourir avec moi, et ce soir, lorsque nous nous retrouverons, vous aurez peut-être changé d’avis. Comprenant mieux ma haine, vous serez certain que vous devez avoir toute confiance en moi. »

Villaréal, à qui momentanément nous laisserons ce nom d’emprunt déroula aussitôt le cahier qui accompagnait cette lettre, et après avoir donné un nouveau congé à Yago, il commença la lecture d’un manuscrit étrange, que son auteur s’était plu à diviser par chapitres, comme pour mieux faire vivre ceux qui devaient le lire un jour au milieu du drame horrible qu’il avait à raconter, drame qui intéressait si directement celui que le hasard lui avait fait rencontrer.


VI

LE MANUSCRIT DU DOCTEUR HARRIS.



Sir Arthur Maury était marié depuis cinq ans à peine lorsqu’il perdit sa jeune femme, la fille unique du vieux comte d’Esley. Les amis du baron-