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— À ce soir, chez vous à minuit, dit à voix basse le comte, en reconduisant le docteur jusqu’à la porte de l’appartement ; c’est plus que le hasard qui nous a réunis.

— À ce soir, comte, je vous attendrai. Je le crois comme vous, nous pouvons avoir besoin l’un de l’autre.

— Pourquoi ai-je entendu le nom de sir Arthur ? mon ami, dit la comtesse à son mari dès qu’ils furent seuls.

— Parce que je crois, Ada, que nous allons enfin retrouver votre mère, répondit-il en pressant contre son cœur la jeune femme qui avait levé les yeux au ciel comme pour le remercier. Mais pas un mot de plus, je vous en prie ; rentrez chez vous ; bon courage !

Et après avoir reconduit la comtesse dans sa chambre, Villaréal rejoignit Yago dans son cabinet de travail.

Celui-ci l’attendait avec une volumineuse correspondance qui portait les timbres de toutes les grandes villes manufacturières d’Angleterre et d’Irlande.

Quelques-unes de ces lettres venaient des Indes et étaient écrites en caractères bizarres.

Ce furent surtout celles-là que l’étranger se mit à dévorer avec avidité, ne cachant pas la satisfaction barbare qu’il éprouvait des nouvelles désastreuses qu’elles lui apportaient.

Les provinces du Nord venaient de se soulever à nouveau ; la presqu’île entière était la victime du choléra et de la famine.

Un des plus terribles cyclones dont on eût jamais entendu parler avait ravagé les rives du Gange et coûté à la marine anglaise une cinquantaine de navires.

Plus de trente mille personnes avaient péri en peu de jours.

Tout à coup, au moment où il était en train de parcourir une de ces dernières lettres, Villaréal laissa échapper un mouvement de colère qui surprit Yago, habitué qu’il était à toujours voir son maître si calme et si plein d’empire sur lui-même.

Cette lettre était datée d’Hyderabad et n’avait que quelques lignes, mais elles paraissaient avoir fait sur lui une impression profonde.

« Seigneur, lui disait son correspondant, sir Arthur Maury fait ses préparatifs de départ ; le capitaine George Wesley a quitté les Indes depuis plus de cinq mois ; le colonel, dans huit jours, s’embarquera sur le Duc d’York, dont le commandant, chargé d’une mission importante auprès du gouverneur de la colonie du Cap, est obligé de prendre la voie du Sud. Sir Arthur Maury sera donc à Londres environ dans trois mois. »

Après avoir lu et relu cette lettre, Villaréal ou plutôt Nadir, que le lecteur a déjà reconnu, se mit à arpenter à grands pas son cabinet de travail.