d’elle, elle s’était mise à se tirer les cartes, opération dans laquelle elle avait la confiance la plus illimitée.
Elle se livrait à cette importante occupation depuis quelques instants déjà, interrogeant le destin avec la meilleure foi du monde et des alternatives d’espérance et de dépit, selon ce que les cartes voulaient bien lui annoncer, et faisant partager toutes ses émotions à sa domestique, lorsque au moment où elle amenait un superbe roi de cœur, elle entendit une voiture qui s’arrêtait sous ses fenêtres.
— C’est lui, j’en suis sûre, dit-elle en ne faisant qu’un bond jusqu’à une glace pour s’assurer qu’elle était toujours jolie ; c’est lui, mon cœur me le dit. Oh ! les cartes ne m’ont jamais trompée. Va donc vite ouvrir, Jane !
Et la folle fille battait des mains avec joie, quoiqu’elle eût subitement pâli, car elle aimait sincèrement Villaréal et elle s’était promis de lui dire ce jour même combien elle souffrait de son indifférence.
— Oui, c’est bien monsieur le comte, dit la femme de chambre, qui s’était penchée sur la rampe de l’escalier.
— Je le savais bien, répondit Saphir en s’avançant jusqu’à la porte de son boudoir et en se jetant à la rencontre du gentilhomme qui lui prit affectueusement la main.
Puis il la conduisit doucement jusqu’à sa chaise longue, et, attirant à lui un fauteuil, il s’assit en face d’elle.
En soubrette bien dressée, Jane était sortie.
Saphir et Villaréal étaient seuls.
— Qu’avez-vous donc, chère enfant ? lui dit le gentilhomme en s’apercevant que les yeux de la jeune femme étaient remplis de larmes.
— Ce que j’ai, comte : je n’oserai jamais vous le dire, vous allez vous moquer de moi. Je suis bien malheureuse.
Il était évident que Saphir avait dû faire appel à toute sa volonté pour prononcer ces quelques mots, car sa voix était entrecoupée et elle avait baissé la tête.
— Bien malheureuse ? Je ne vous comprends pas, répondit son ami. Quant à me moquer de vous, vous savez, Saphir, que j’en suis incapable. Que vous est-il donc arrivé ?
— Il m’est arrivé que je suis folle, poursuivit l’enfant, en se laissant glisser sur le tapis et en tendant vers le comte ses deux petites mains jointes et suppliantes, et que, si vous ne voulez pas avoir pitié de moi, j’en mourrai.
— Vous mourrez ! ah çà ! mais qu’y a-t-il donc ?
— Vous ne voyez donc pas que je vous aime, que je vous aime de toute mon âme ?
— Saphir !