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familles et les intéressés s’étaient inutilement adressés aux tribunaux ; les autorités s’étaient livrées vainement à toutes les enquêtes.

Aucun cadavre n’avait été retrouvé, et quoique le sinistre nom des Thugs[1] eût été souvent prononcé, on hésitait toujours à croire à leur existence.

On mettait tous ces meurtres, toutes ces disparitions sur le compte des voleurs ordinaires de grand chemin ou sur celui des accidents. On accusait les tigres, les ouragans, les inondations.

Il ne fallut rien de moins que l’attaque dirigée contre le colonel sir Edward Buttler, sur la route de Tritchinapaly à Madras, pour ouvrir les yeux aux plus incrédules.

Par miracle, sir Edward avait échappé à la mort, mais son fils, sa femme et trois de ses serviteurs avaient succombé dans les circonstances horribles dont nous l’entendrons bientôt faire le récit devant la cour de Madras.

On organisa alors une croisade sans pitié contre les Thugs du Centre et du Dekkan[2]. Chacun voulut en faire partie. On battit la campagne comme s’il se fût agi de chasser le tigre.

Lord William Bentick, gouverneur général de Madras, le major Sleeman et d’autres officiers supérieurs allaient s’illustrer dans cette lutte sans exemple, dont les difficultés et les dangers étaient incalculables ; car où trouver les preuves, où saisir les assassins que protégeait la population indigène ? Comment découvrir leurs retraites inaccessibles ?

Lord William Bentick avait demandé au gouvernement des pouvoirs absolus qu’on s’était hâté de lui accorder.

Un tribunal spécial, jugeant sans appel, avait été institué.

Cependant toutes les recherches étaient vaines.

C’est à peine si on arrêtait de temps à autre quelques pauvres diables, auxquels on ne pouvait arracher aucun aveu. Ils savaient bien évidemment que les Thugs existaient, mais ils ne pouvaient ou ne voulaient rien révéler à propos de la terrible association.

On ne saurait s’imaginer l’épouvante qui s’était emparée de la société européenne.

    n’a pas moins de 180 millions d’habitants, appartenait réellement à l’Angleterre. L’autre partie se composait d’un grand nombre de royaumes ou principautés qui n’étaient que tributaires et se révoltaient périodiquement contre les vainqueurs. Aujourd’hui l’autorité britannique s’étend sur la presque totalité de l’Hindoustan. Les quelques souverains indigènes qui règnent encore sont les vassaux de l’Angleterre et n’ont plus qu’une ombre de pouvoir.

  1. Thugs signifie littéralement trompeurs. On appelle aussi les Thugs, Phansigars, Étrangleurs, du mot indoustani phansi, nœud coulant.
  2. Province du sud de l’Hindoustan.