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ouvrière de White-Chapel, la maison de mistress Davis semblait véritablement privilégiée et bénie du ciel.

Du reste, grâce aux journées de James, qui était l’ouvrier laborieux par excellence, et à une petite rente que sa mère recevait d’un manufacturier chez lequel son mari avait été victime d’un accident dont il était mort, un bien-être relatif régnait dans le modeste ménage.

De plus, à ces ressources principales, les petits profits que les deux femmes retiraient de leurs travaux de couture venaient se joindre encore. James ne rêvait pas de plus grande fortune.

C’est au milieu de ce calme heureux qu’il avait été saisi par la révélation terrible que nous connaissons.

— Eh bien ! qu’as-tu donc ? répéta la jeune fille ; tu ne m’embrasses même pas ?

Elle-même était pâle et tremblait.

— J’ai à te parler, Mary, répondit enfin James, en faisant un effort pour se rendre maître de son émotion, mais pas ce soir. Demain matin, avant que notre mère soir levée, viens me rejoindre en bas.

— J’irai, mais au moins, dis-moi…

— Rien ! Il ne faut pas que notre mère entende. La voici qui monte, à demain !

Et sans même embrasser sa sœur, ce à quoi il n’avait jamais manqué un seul soir, il sortit brusquement et courut s’enfermer chez lui, laissant Mary atterrée et sous le coup des pressentiments qui l’épouvantaient.

Quant à James, une fois seul dans sa chambre, il tira de sa poche le carnet d’Edgar Berney, et le contemplant, la rougeur au front et la rage au cœur, il donna un libre cours à ses pensées.

Le malheureux ne voulait pas cependant s’arrêter à cette idée que sa sœur au regard si pur était la complice de cet Edgar Berney, qu’il savait être un viveur et un débauché ; mais maintenant qu’il était trop tard peut-être, il se rappelait les tristesses de Mary depuis plusieurs mois, son amour étrange de l’isolement, tous ces changements qu’il avait attribués à quelque cause physique que l’âge de la jeune fille expliquait ; et il s’en voulait, ainsi qu’à sa mère, de ne pas avoir mieux surveillé cette enfant rêveuse et faible par son ignorance même.

Il comprenait alors son indifférence, son espèce de répulsion pour Tom, qu’elle avait bien reçu d’abord, et il se rendait compte de sa rougeur et de son embarras lorsque, ses courses l’amenant du côté de la manufacture, elle venait l’attendre à la sortie de l’atelier.

Ce n’était donc pas pour lui, son frère, que Mary, depuis plusieurs semaines surtout, faisait aussi fréquemment cette longue course !

Il se disait avec épouvante que, grâce à la liberté que les jeunes filles ont