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— Ah çà ! master James, tu pourrais bien me répondre ; on ne laisse pas comme ça un ami causer tout seul.

— Pardon, Tom, pardon, mais je ne t’avais pas entendu ; c’est que j’ai hâte, vois-tu, d’arriver à la maison. Je crois que ma mère et Mary savaient où nous devions aller ce soir, et j’ai peur qu’elles ne soient pas couchées pour m’attendre.

— Ce n’est pas une raison pour ne pas répondre à un camarade. Courons tant que tu voudras, mais causons ! Moi d’abord, tu le sais bien, je ne peux pas rester sans parler, c’est plus fort que moi. Le silence me donne soif, surtout avec un satané brouillard comme celui de ce soir.

Le colosse avait rendu la liberté à James, qui se contenta alors de marcher à grands pas.

— Je te disais, continua Tom, que le docteur avait raison ; il y a trop de pauvres gens, les patrons ne sont pas raisonnables ; il faut que ça finisse. Plus de patrons ! à bas le capital !

— Imbécile !

— Tu dis ?

— Imbécile !

— J’avais bien entendu, c’était pas la peine de le répéter… Alors, tu n’es pas de l’avis du docteur ?

— Je n’aime pas beaucoup tous ces gens à lunettes et à mains blanches qui, sans qu’on sache ce qu’ils sont et d’où ils viennent, se donnent ainsi la peine de se mêler de nos affaires, et finissent toujours par une petite souscription en faveur de malheureux que nous ne connaissons pas. Mais laissons cela, nous en causerons demain. Me voilà à deux pas de chez moi ; bonsoir !

Ils venaient de dépasser l’hôpital de Londres et approchaient en effet du terme de leur course, car c’était non loin de là que James demeurait avec sa mère et sa sœur.

Tom habitait à cent mètre plus loin, dans une ruelle voisine.

Tout abasourdi de la riposte de son ami, il lui serra la main à la briser, lui grogna un bonsoir maussade et fit quelques pas pour s’éloigner ; mais il se rapprocha aussitôt et, avec l’entêtement qui était le fond de son caractère, il répéta à James une partie de cette phrase à laquelle celui-ci n’avait répondu que d’une façon vraiment incomplète :

— Non, c’est égal, il y a trop de malheureux !

— Est-ce dont la faute de riches s’il y a des pauvres, répliqua James, et crois-tu que c’est honnête de la part des ouvriers de demander une augmentation de salaire au moment où les patrons perdent de l’argent ?

— Puisque nous ne pouvons pas vivre !

— En vivrons-nous mieux lorsque nous serons en grève, et qu’au lieu de