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Bientôt une vague énorme, terrible, impitoyable, les jeta par le travers et tout disparut.

La mer ne devait pas abandonner une seule de ses victimes.

La jeune femme, qui se tenait toujours debout à l’arrière et qui n’avait pas quitté l’embarcation des yeux, ne put retenir un cri de pitié et d’épouvante.

— Silence, miss Ada, lui dit soudain le prince hindou qui s’était approché d’elle et avait appuyé sa main sur son bras, ces hommes seuls savaient ce qu’est devenu Moura-Sing, qu’ils ont assassiné et dont aujourd’hui je porte le nom ; ces hommes seuls pouvaient me trahir, m’accuser et faire de moi leur complice ; ils devaient mourir.

La jeune fille baissa la tête, épouvantée malgré son amour, de ce génie du mal, de ce dieu de vengeance que l’Inde envoyait à l’Angleterre.

Une heure plus tard, le capitaine George Wesley arrivait lui-même à Bombay.

Il était accompagné de master Stilson, singulièrement maigri par cette longue course à travers la presqu’île et les émotions de toutes sortes qu’il avait éprouvées.

Depuis un mois, l’illustre brasseur ne buvait que de l’eau et ne riait plus. Le remords ou l’abstinence l’avait rendu méconnaissable.

Avant même de se rendre chez le gouverneur, le jeune officier se hâta de courir à l’agence des paquebots.

Là, il apprit avec stupéfaction et en même temps avec joie, car il ne s’expliquait pas comment elle avait échappé à ses ravisseurs, que miss Ada s’était embarquée le matin même, et on lui affirma que le Sind n’avait pas d’autre passagers hindous que le prince Moura-Sing et sa suite, qui se composait des serviteurs qu’il avait amenés avec lui d’Hyderabad et de ceux qu’il avait engagés à Bombay la veille de son départ.

On ne savait pas quels étaient ceux de ses hommes qui avaient péri dans le naufrage de l’embarcation.

Aucune des victimes de cet accident inexplicable n’avait survécu et la mer n’avait pas encore rejeté leurs cadavres.

Désespéré, ne sachant plus quel parti prendre et se demandant si vraiment le ciel lui-même ne se mettait pas contre lui, George Wesley rentra à l’hôtel, où l’infortuné Stilson l’attendait, en commençant à craindre d’avoir fait un peu trop à la légère son redoutable serment de tempérance.

Pendant ce temps-là, doublant la pointe des Palmiers, le Sind mettait le cap à l’ouest pour traverser le golfe d’Oman et gagner le détroit de Bab-el-Mandeb.


FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE.