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faire ce voyage sans me joindre à l’escorte d’un homme recommandable et accompagné d’une suite assez nombreuse.

« Budrinath ne manqua pas de lui répondre qu’avec lui il pourrait voyager en toute sûreté, cas son escorte était assez forte pour défier tous les malfaiteurs de l’Inde réunis, et il s’engagea avec le sahoukar à se mettre à ses ordres sous deux ou trois jours et à lui donner son appui jusqu’à Hyderabad.

« Kâly protégeait ses enfants, car le sahoukar alla plus loin encore : il confia secrètement à Budrinath et à Ali qu’il emportait avec lui de grandes valeurs, quantité de bijoux de prix, ainsi que des marchandises dont il espérait tirer un bon profit à Hyderabad.

« Budrinath nous raconta tout cela le soir en revenant au camp. Nous fîmes alors nos dispositions pour bien recevoir notre victime et lui inspirer une plus grande confiance encore, si cela était possible.

« Afin de donner à notre troupe un aspect vraiment militaire, on acheta, pour ceux qui en manquaient, des fusils, des sabres et des boucliers.

« Lorsque cette distribution fut faite, les chefs passèrent à l’inspection de notre troupe. Elle ressemblait à un bataillon de guerre ; c’était à s’y méprendre.

« L’expédition devant être longue et dangereuse, Budrinath n’avait formé sa petite armée que d’hommes jeunes et vigoureux, qui faisaient le meilleur effet sous les armes.

« Le soir, le camp, qui avait été informé des conventions arrêtées avec le marchand, était dans la joie. Nous fîmes venir des danseuses de la ville, et la nuit se passa en fêtes et libations en l’honneur de la grande déesse.

« Le houka (la pipe) que je n’avais jamais fumé ; les nach-korhee (les danses), qui n’avaient jamais frappé mon regard ; les récits merveilleux, que je n’avais jamais entendus ; tout enfin, dans cette veillée, acheva d’enflammer mon cœur et d’irriter mes sens.

« Il me semblait que c’était là la seule existence que je pusse mener désormais.

« Le lendemain matin, le sahoukar arriva au camp dans une petite voiture de voyage. Il était accompagné de deux serviteurs et de trois petits chevaux qui portaient sa tente et les bagages. De plus, il avait avec lui dix bœufs et leurs conducteurs. En tout, ils étaient quatorze.

« Le soir même, nous nous mîmes en marche vers le Sud.

« Nous vîmes peu le sahoukar pendant le voyage jusqu’à Oomrootee. Budrinath et Ali avaient l’habitude de rester avec lui sous la tente pendant la soirée.

« Un jour, cependant, je lui fus présenté.

« C’était un homme jeune, mais excessivement gros, et je ne tardai