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nel avait donné pour escorte à sa fille, avait annoncé qu’il allait se diriger en droite ligne sur Ahmednagor.

On craignait seulement que le débordement du fleuve, que la petite caravane avait traversé à Bhiir, ne la forçât à remonter vers le Nord, peut-être jusqu’à Shawgar, dont la route était plus praticable.

Certain alors de rejoindre celle qu’il poursuivait, George Wesley accorda quelques heures de repos à ses compagnons.

Il était temps : Stilson dépérissait à vue d’œil et n’en pouvait plus.

Le lendemain avant le point du jour, le jeune officier donna le signal du départ.

Cinq heures de trot permirent aux cavaliers d’atteindre Bilma, petit village où la route bifurquait pour conduire d’un côté à Shawgar et de l’autre à Ahmednagor.

Mais, dans cette dernière direction, le chemin était complètement défoncé par les pluies, et la fille de sir Arthur avait pris la première, bien qu’elle dût être forcée, en remontant vers le Nord, de traverser une partie de l’immense forêt à travers laquelle court le Godavery.

L’erreur n’étant plus possible, sir George ne permit à ses hommes qu’un instant de halte, et bientôt la petite troupe laissa derrière elle les rizières pour atteindre les jungles, ces étranges et terribles solitudes qui couvrent encore aujourd’hui la dixième partie de la presqu’île indoustane.

Le jungle n’est pas encore la forêt et cependant ce n’est plus la plaine.

Les arbres toujours éloignés les uns des autres y atteignent en toute liberté des hauteurs prodigieuses et les lianes qui grimpent autour de leurs troncs gigantesques les relient entre eux.

Le manguier envoie jusqu’au jaquier les rameaux de ses branchages touffus ; le tamarinier baigne ses feuilles dans les eaux dormantes des marais empoisonnés ; le mancenillier offre vainement aux oiseaux le repos mortel de son feuillage d’émeraude, et sous les grandes ombres du talipot se jouent l’écureuil et le singe, pendant qu’abrité sous les roseaux, le léopard guette le cerf au passage.

Au milieu du chemin à peine tracé, l’œil découvre parfois, immobile comme une branche morte, la vipère noire que la copra fuit elle-même, et le crocodile s’étend paresseusement sur la vase des rives du fleuve, à l’abri des palétuviers.

On ne saurait croire la tristesse qui s’empare du cœur à la vue de cette végétation si puissante.

On sent que ces luxuriants voiles de verdure de tons si doux et si harmonieux ne sont que des linceuls pour tout être humain.

Les parfums âcres et pénétrants de ces fleurs aux brillantes couleurs, le