Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il s’approcha vivement et le toucha de la main, en se penchant vers lui.

L’homme poussa un gémissement et fit un effort pour relever la tête.

C’était un vieillard hâve, décharné, dans un épouvantable état de maigreur. Il était couvert de haillons et couché sur une natte humide.

Ses yeux atones avaient eu un regard de terreur en s’arrêtant sur Nadir, mais ses lèvres s’étaient agitées sans émettre aucun son ; sa tête était retombée sans force.

— Je suis le Maître, lui dit le jeune homme en l’aidant à se soulever à demi. Regarde et obéis.

Il avait mis sous les yeux de l’Hindou les deux émeraudes mystérieuses que les derniers éclats de la torche faisaient briller de mille feux.

Le vieillard comprit, car par un effort dont paraissait incapable son corps épuisé, il se mit à genoux en murmurant :

— Oui, c’est toi le Maître ; que Brahma soir loué, je t’attendais !

Mais il ne put en dire davantage, car, sans Nadir qui le soutenait, il serait retombé sur son grabat.

— Oui, c’est moi, reprit le Maître, l’heure est venue ! Où est cet or qui doit me faire puissant et victorieux ?

Ce malheureux ne paraissait plus entendre ; ses yeux s’étaient refermés.

Nadir répéta sa question.

— L’or ? quoi… l’or ? bégaya l’Hindou à voix si basse que, l’oreille contre ses lèvres, on comprenait à peine ses paroles : Maître, j’ai faim !

Et il s’affaissa inanimé dans les bras de celui qui le soutenait.

Un instant de silence se fit.

Nadir entendait le râle qui s’échappait en sifflant de la poitrine épuisée du vieillard.

Il se releva désespéré, la bouche crispée dans une malédiction et laissa le corps retomber lourdement sur le sol.

Il ne savait pas que, depuis plus d’un mois, cet homme mourait de faim.

Un soir qu’il regagnait ce caveau, qui était sa demeure depuis que les chefs des Thugs du Dekkan lui avaient confié la garde du trésor de l’association, il lui avait semblé qu’il était suivi et il n’avait plus osé sortir.

Le jour où, poussé par le besoin, il avait tenté de soulever la pierre du mausolée, ses forces l’avaient trahi.

C’est à peine s’il avait pu regagner en rampant ce caveau, où le devoir le condamnait à mourir du plus horrible supplice.

Or, de tous ceux qui connaissaient l’existence de cette fortune immense, incalculable, fruit de plus de deux cents années de vols et de pillages, Nadir seul était vivant, et ce vieillard qui, en mourant, comme par une ironie sinistre du sort, au moment où surmontant tous les obstacles, il était par-