Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y régnait une obscurité presque complète.

Samuel, désireux de savoir qui venait ainsi de s’introduire chez lui sans plus de façon, fit le mouvement d’ouvrir les volets.

— C’est inutile, dit l’étranger, je n’ai qu’un mot à vous dire, et nous n’avons pas besoin d’y voir davantage ni surtout d’être vus. Je viens vous proposer une affaire.

— Laquelle ? dit le marchand ; si elle est bonne…

— Je vous connais, Samuel, et la preuve, c’est la manière dont j’ai frappé à votre porte.

Le vieillard, à ces mots, ne put réprimer un mouvement de terreur.

— Ne craignez rien, poursuivit son interlocuteur, je n’ai ni envie ni besoin de vous trahir. Faire savoir au gouverneur de Madras que c’est par vos mains qu’ont passé, pendant vingt ans, les bijoux et les lingots volés par les Étrangleurs, avant de se transformer en belles et bonnes piastres, me serait inutile. Cela ne me regarde pas et ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Je viens vous proposer, au contraire, de gagner d’un seul coup une somme énorme.

Samuel, d’abord épouvanté, avait retrouvé un peu de calme en entendant la fin de cette phrase.

Tous ses efforts tendaient seulement à se rappeler s’il avait jamais vu ce visiteur.

Celui-ci s’aperçut de l’examen dont il était l’objet.

— Ne cherchez pas davantage, Samuel, lui dit-il, cela ne vous servirait absolument à rien. Vous ne me connaissez pas ; nous ne nous sommes jamais rencontrés. Mais, à moi, rien de votre existence ne m’est inconnu. Répondez-moi franchement.

L’Israélite fit signe qu’il était tout oreilles.

— Pour quelle somme pouvez-vous me donner des traites sur Bombay, Alexandrie et Londres ?

— Mais pour combien en voulez-vous ?

— Pour plusieurs millions, dix au moins, si cela vous est possible.

— Dix millions ! exclama le marchand.

— Pas moins ; et je sais que Manetjee, le banquier persan de Bombay, a davantage à vous.

— Quelle garantie me donnerez-vous ?

— Une somme deux ou trois fois plus forte en lingots et en pierres précieuses.

— Deux ou trois fois plus forte en lingots et en pierres précieuses ! répéta le changeur juif dont les yeux brillaient derrière ses grosses bésicles de buffle.