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d’arbres qui y faisait face, lorsque miss Ada s’arrêta brusquement et, toute tremblante, saisit Roumee par le bras en étendant la main devant elle.

À quelques pas plus loin, sur la droite du chemin, la lune, qui venait de se lever, lui montrait, encore suspendus aux gibets, les squelettes des derniers condamnés.

Elle entendait les cris rauques des chacals qui, grattant impatiemment le sol de leurs griffes, guettaient au pied des potences les lambeaux de chairs que les vautours laissaient tomber par moments en se disputant leur sinistre butin dans l’air, et les clameurs glapissantes des aigles qui décrivaient des cercles concentriques de leur vol au-dessus des arbres dont les branches, agitées par le vent, fouettaient les pendus au visage.

Puis elle aperçut au milieu du chemin, tête nue, les regards fixés sur les suppliciés, un homme qui semblait les compter, et la main levée vers eux, leur faire un serment.

Se sentant défaillir, elle jeta un cri d’horreur.

Cet homme était Nadir.

En reconnaissant la voix de la jeune fille, l’Hindou se retourna et s’élança vers elle pour la recevoir dans ses bras.

— Pourquoi m’avez-vous fait venir ici ? lui dit-elle ; ne pouviez-vous choisir un lieu moins terrible pour nous retrouver ?

— Pardon, miss, mais je n’avais à moi qu’un instant pour revoir ces hommes une dernière fois et tenir la promesse que je vous ai faite. Ah ! cela vous semble horrible que je vienne contempler ces corps déchirés, privés de sépulture et livrés aux oiseaux de proie et aux fauves. Oui, cela est affreux, mais ce sont ces morts qui arment mon bras ; c’est le vent qui siffle entre leurs ossements qui crie vengeance. C’est dans le dernier adieu que je leur adresse, dans le serment suprême que je leur fais, que je devais puiser la force et l’énergie de punir.

— Nadir, je vous en prie ! dit la jeune fille effrayée de l’exaltation de l’Hindou.

— Oui, vous avez raison, venez ! Ma colère ne rendra pas la vie aux morts et ma haine appartient tout entière aux vivants !

Il avait passé son bras autour de la taille de miss Maury et l’entraînait doucement vers le bord de la route.

Ada se laissait conduire, heureuse de cette étreinte et oubliant déjà l’affreux tableau qu’elle avait sous les yeux.

— Écoutez-moi, miss, lui dit-il, dès qu’ils eurent perdu de vue le sinistre gibet, je vais m’éloigner pour longtemps, pour toujours peut-être.

— Me quitter ! vous éloigner ! pourquoi ? demanda-t-elle précipitamment.

— Parce qu’il le faut, que ma voie est tracée et que je dois la suivre.

— Où allez-vous ?