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regrets dans une de ces douces retraites inaccessibles que tu connais, et peut-être le bonheur viendra-t-il nous visiter encore. La nuit prochaine, lorsque les ténèbres envelopperont cette demeure, nous fuirons à travers la forêt. Si tes forces te font défaut, tu t’appuieras sur moi, je serai forte pour nous deux.

Nadir ne répondait pas.

— Tes ennemis ne songent pas à te poursuivre, continua la jeune femme inquiète de ce silence ; ils te croient mort, et c’est cela qui fera notre sécurité. Je me rappelle ces oasis parfumées du Malwa que tu m’as décrites et où nos oppresseurs n’ont pas encore pénétré, nous les atteindrons sans nous arrêter dans les villes, et tu seras mon époux aimé. Je redeviendrai belle, car mes joues ne seront plus sillonnées par les larmes ; les pleurs n’effaceront pas le khol de mes yeux, ni le vermillon de mes lèvres. Ta Sita retrouvera la jeunesse, la beauté et la vie avec ton amour. Ne détourne pas les yeux, ami, réponds-moi !

— Enfant, dit enfin l’Hindou en attirant tendrement Sita vers lui, le séjour de l’homme sur la terre ressemble à un voyage fait pendant la nuit : la jeunesse, la vie, la beauté, la fortune et l’amour sont un faisceau de paille que le courant entraîne.

— Que veux-tu dire ?

— Qu’on ne saurait lutter contre sa destinée, Sita, et que la nôtre doit s’accomplir jusqu’au bout.

— Je ne te comprends pas ; tu m’épouvantes !

— As-tu donc pensé un instant, pauvre fille, que je n’avais joué cette horrible comédie de la mort que pour acheter le droit de vivre dans la retraite et l’oisiveté, et que je n’étais sorti de mon tombeau que pour ne pas mourir. C’est aujourd’hui seulement, au contraire, que ma vie commence, c’est aujourd’hui surtout qu’il me fait une preuve de ton obéissance et de ton amour.

Faisant appel à toute son énergie, Nadir s’était soulevé sur sa couche funèbre. Son regard était inspiré, sa voix métallique et vibrante.

Sita, sans comprendre encore ce que voulait dire son fiancé, sentait instinctivement qu’il était perdu pour elle.

Elle était retombée à genoux, les yeux remplis de larmes.

— Sois forte, poursuivit l’Hindou, peut-être trouverons-nous un jour tout ce bonheur promis ; mais l’heure n’est pas venue. Écoute-moi ; voici ce que ton fiancé te demande, voici ce que ton maître ordonne. Obéiras-tu ?

— J’obéirai, dit Sita dans un sanglot.

— Dès que la nuit sera venue, tu te retireras chez Nanda, dont les filles te recevront comme une sœur, et chaque jour tu quitteras la pagode pour jeter des fleurs et des feuilles de toulasi sur ma tombe. Moi, j’ai une