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À la lueur d’un éclair, elle venait de voir se dresser en face d’elle, pâle, les cheveux dénoués, les yeux étincelants, une femme qui, le bras étendu vers elle, semblait la menacer et la maudire.

Elle avait eu le temps de distinguer aussi, à quelques pas en arrière, les hommes qui l’accompagnaient.

— À moi, Roumee ! s’écria-t-elle éperdue de terreur.

Sita venait de se jeter à sa rencontre pour lui disputer le cadavre de son fiancé.

Le cipaye, sans comprendre ce qui se passait, s’était instinctivement placé devant miss Ada pour lui faire un rempart de son corps, car l’Hindoue, après avoir franchi d’un seul bond l’espace qui la séparait de son ennemie, s’était arrêtée à quelques pas d’elle.

— Que venez-vous donc faire ici ? lui demanda-t-elle d’une voix étranglée et les lèvres frémissantes ; pourquoi ces hommes veulent-ils profaner cette tombe qui m’appartient ?

La fille de sir Arthur se taisait, ne sachant que répondre.

Qui était cette femme, pour oser lui parler ainsi ?

Les Hindous avaient cessé leur travail ; ils restaient immobiles, ne comprenant rien à cette scène étrange et attendant de nouveaux ordres.

Roumee lui-même ne savait que faire.

Cette femme n’allait-elle pas les trahir par ses cris, et quelles seraient les suites d’une rixe entre ses hommes et ceux qui l’accompagnaient ?

Miss Ada eut la même pensée, et, jugeant qu’une explication loyale était préférable à tout, elle repoussa doucement Roumee et releva la tête.

Sita put alors distinguer ses traits, et en reconnaissant qu’elle avait affaire à une étrangère, à la fille de l’un de ceux qui étaient les oppresseurs de sa race, une imprécation s’échappa de sa bouche :

— Par Yama, le juge des morts ! s’écria-t-elle, je devine maintenant qui vous êtes, car je vous connaissais déjà de nom, miss Ada Maury, qui m’aviez enlevé le cœur de Nadir et qui maintenant voulez me voler son cadavre ! Venez donc, si vous l’osez, chasser la fiancée de la tombe de son fiancé !

Elle avait gravi le tertre qui surmontait la fosse, et s’y tenait debout, indignée, menaçante.

Mais miss Ada avait retrouvé tout son sang-froid et tout son courage.

Elle se rapprocha de Sita.

— Enfant, lui dit-elle de sa voix douce et persuasive, ménagez vos outrages. Dieu m’est témoin que si j’avais su que vous étiez vivante, je ne serais pas ici à cette heure pour tenir le serment que j’ai fait au mort !

— Le serment !… lequel ? demanda l’Hindoue, étonnée de ce calme et de cette douceur.