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qu’en somme le prisonnier était toujours sous les verrous ; mais il craignait que, furieux du rôle qu’on lui avait fait jouer, l’ivrogne, infatué de son omnipotence, ne portât plainte au commandant du fort dans son premier mouvement de colère.

Il s’était décidé alors à s’en remettre au hasard pour la suite de cette singulière excursion, dont il s’était fait le complice par amour pour la jolie femme de chambre de miss Ada.

La jeune Anglaise avait passé plusieurs heures dans le plus complet délire, réunissant dans ses sanglots les noms de sa mère et de Nadir, se tordant les bras, arrachant ses beaux cheveux et disant qu’elle voulait mourir.

Au lever du soleil seulement, elle se calma, mais pour tomber dans une prostration navrante.

Elle n’en sortit que pour se trouver en face de la réalité terrible qui se dressait devant elle.

Elle se souvint alors de cette nuit épouvantable qu’elle venait de passer, de sa visite dans le cachot de celui qu’elle aimait, de ses prières et de ses supplications inutiles, des confidences qui lui avaient été faites.

Puis elle se rappela avec terreur le singulier serment qui la liait, elle, jeune fille chaste et pure, à cet homme emprisonné, à ce héros mystérieux dont les paroles d’amour avaient fait battre son cœur et qu’elle ne devait plus revoir vivant.

Elle voulait cependant espérer encore, et dans la journée, elle envoya Sabee rôder autour de la prison pour savoir s’il ne s’y était rien passé de nouveau.

La jeune servante apprit seulement que le médecin de garde avait été appelé vers midi auprès de Nadir, et qu’il était sorti du cachot en disant qu’il ne comprenait rien au mal du prisonnier, mais qu’il ne lui donnait pas toutefois plus de vingt-quatre heures à vivre.

Ainsi, tout était vrai ; elle ne le reverrait plus que lorsque, tenant sa promesse, elle se serait rendue maîtresse de son corps inanimé !

Ada s’enferma alors chez elle, dévorant ses larmes, étouffant ses sanglots, tristement résignée, toute à la pensée de l’œuvre lugubre qui lui restait à accomplir.

Le capitaine George se présenta plusieurs fois, mais il pria et supplia vainement.

Elle avait donné l’ordre formel de ne recevoir personne, lui moins encore que tout autre.

Quant à sir Arthur, il ne parut même pas s’apercevoir de l’absence de sa fille à table.

La scène qu’il avait eue la veille avec elle l’avait profondément humilié,