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dans cette conspiration permanente dont ils faisaient partie, que le droit indéniable à tout être humain de défendre le sol où il est né et d’en repousser l’étranger.

Ces membres du Thugisme, véritables pavillons d’honneur destinés à être déployés dans des moments propices, étaient mis soigneusement, par les frères eux-mêmes, à l’abri de tout soupçon.

Leurs noms ne figuraient pas sur les listes des conspirateurs et ils ne jouaient jamais que des rôles purement platoniques.

Convaincus de la sainteté et de l’honnêteté de l’œuvre, ils étaient les dépositaires fidèles des secrets les plus importants de l’association.

Nous ne voudrions pas affirmer cependant que tous les affiliés qui appartenaient à cette dernière catégorie fussent dans l’ignorance absolue de ce qu’ordonnaient les maîtres et de ce qu’exécutaient les esclaves ; il en était aussi parmi eux qui savaient, mais qui feignaient d’ignorer, cela pour leur sûreté personnelle et leur plus grand intérêt.

Ceux-là, c’étaient les plus ardents à maudire les crimes des Thugs et à demander contre eux la répression la plus sévère, si disposés qu’ils fussent à profiter de leurs sinistres exploits en cas de succès.

Nous pensons que les associations européennes, dites sociales et politiques, ont souvent emprunté à l’extrême Orient ce type odieux de lâches conspirateurs, qu’on ne voit debout que la veille et le lendemain du combat, et qui savent, aidés de leur double trahison et sauvés par leur double masque, revenir à flot après la tempête, pour faire croire aux niais qu’ils en ont été victimes.

Romanshee n’était pas de ces misérables. Pendant de longues années il n’avait vu réellement dans le Thugisme que la secte religieuse née d’une fausse interprétation du verset du Védas qui recommande les sacrifices humains et dit que la nature vit de destruction, secte devenue politique à l’époque de la première invasion musulmane ; et il avait blâmé ses excès, tout en restant son partisan fidèle et le brahmine le plus respecté de la province.

Plus tard, lorsque le célèbre chef de la franc-maçonnerie hindoue avait été emprisonné, il avait obtenu facilement l’autorisation de le visiter, et nous avons vu dans la première partie de ce récit, le Procès des Thugs, que Romanshee était devenu le confident des plus secrètes pensées de Feringhea. Il avait passé avec lui de longues heures, et on l’avait entendu bien souvent tenter de réhabiliter dans l’esprit de ses coreligionnaires celui qu’on accusait de trahison et qui était resté maudit.

C’était peu de temps après la mort de Feringhea qu’il était venu habiter la pagode d’Hyderabad, et qu’il s’était chargé de l’éducation du fils de Moura-Sing, ainsi que de celle de l’enfant que le vieux radjah avait recueilli dans son palais.