après un instant de silence et comme s’il eût pris une décision subite.
La fille de sir Arthur tressaillit à cette question et arrêta à temps sur ses lèvres le nom qu’elle allait prononcer : celui de son père.
Elle comprenait que, quelque haine qu’elle eût pour lui, ce n’était pas à elle de le dénoncer.
— Je l’ignore, répondit-elle, vous le saurez plus tard. Fuyons maintenant, Nadir, le temps presse, on pourrait nous surprendre.
Mais le prisonnier ne répondit pas. Il murmurait tout bas : Romanshee, Romanshee !… Sa colère semblait avoir fait place à la résignation.
— Eh bien ! venez, redit la jeune fille en s’efforçant de l’entraîner vers la porte du cachot.
— Il est trop tard, miss Ada, fit doucement le jeune homme en se dégageant de son étreinte et en retombant sur sa natte. Romanshee et Sita ne sont plus, ma vie est désormais sans but, je ne sortirai pas vivant d’ici. Je renonce même à la vengeance. Quand je tuerais ces hommes, mon vieux maître et ma fiancée renaîtront-ils ? Si j’étais libre, ma colère pourrait-elle ne frapper que les assassins et ne devrait-elle pas s’étendre aussi sur ces lâches de ma race et de ma religion qui ont laissé s’accomplir le pillage et le meurtre ? Excepté mes serviteurs, n’est-ce pas, miss, personne n’a lutté, et les Hindous du faubourg, ceux qui vivaient des bienfaits de Moura-Sing et des miens, toujours défendus et protégés par lui et moi, ces Hindous ont peut-être aidé les incendiaires et profité du pillage ? Race vaincue et abâtardie, il n’y a plus rien à faire pour toi ! Brahma t’a abandonnée ; tu es maudite !
— Voyons, Nadir, venez, je vous en conjure.
— Non, je vous l’ai dit ; non, je ne fuirai pas.
Le ton avec lequel il avait prononcé ces derniers mots, disait que tout était bien fini, et qu’aucune puissance humaine ne pourrait changer sa détermination.
Elle se rapprocha alors pour serrer les mains du prisonnier en signe d’adieu, car elle ne pouvait plus dire un mot. Les larmes l’étouffaient.
À son grand étonnement, Nadir lui fit prendre place auprès de lui.
Elle obéit en tremblant.
— Êtes-vous bien certaine, miss, lui demanda-t-il à voix basse, que personne ne peut nous entendre ?
— Personne, répondit-elle. Stilson est profondément endormi. Jack est remonté à son poste, et Roumee se tient dans l’escalier, prêt à nous avertir au moindre danger.
— Alors, écoutez-moi et, si vous m’aimez, retenez bien mes paroles. Ce n’est pas la vie, la liberté que je veux vous demander, c’est plus encore : le salut de mon âme.