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de ses espérances, et c’est alors qu’elle avait affronté tous les dangers, renversé tous les obstacles, que la résistance venait de l’homme pour lequel elle avait tout osé.

Soudain elle releva les yeux. Une résolution subite venait de s’emparer d’elle. Elle ne voulait pas encore s’avouer vaincue.

— Non, dit-elle, en se rapprochant de Nadir qui s’était laissé retomber sur son grabat ; non, vous ne mourrez pas ici, et puisque mon amour n’a pu éveiller en vous le désir de la liberté, peut-être ferez-vous pour votre vengeance ce que vous ne voulez pas faire pour moi.

— Que voulez-vous dire, miss Ada ? Je ne vous comprends pas, demanda l’Hindou, avec un mouvement de tête qui exprimait que sa résolution était irrévocable et que rien ne pouvait l’ébranler.

— Que veux-je dire ? poursuivit la jeune fille en s’animant elle-même au son de sa voix. Je veux dire que vous n’avez pas le droit de mourir avant d’avoir vengé Romanshee et sa fille.

— Romanshee est comme moi prisonnier ; il n’est pas possible que sa vie soit menacée, car le jour où on lui donnera des juges, il sera mis en liberté. Quant à Sita, qu’a-t-elle à craindre ?

— Romanshee est mort, et sa fille est sans doute comme vous au fond de quelque cachot.

— Romanshee mort ! Sita prisonnière. Ah ! ce n’est pas possible, s’écria Nadir !

D’un bond de tigre il avait rejoint miss Maury. Ses yeux lançaient des éclairs ; ses membres faisaient des efforts surhumains pour briser les liens qui les retenaient.

— Ah ! je savais bien, dit-elle, épouvantée elle-même de l’effet que venaient de produite ses paroles, que vous n’étiez qu’endormi. Oui, Romanshee est mort ! Moins de dix jours après son arrestation, il a été jugé et condamné. De la terrasse de cette forteresse, vous pourriez voir son cadavre et ceux de ses complices suspendus encore au gibet à la porte de Golconde.

— Et Sita ?

— Sita était parvenue à s’enfuir de la pagode et elle s’était réfugiée chez vous. Lorsque les soldats ont brisé les portes de votre demeure pour vous y surprendre, il y ont trouvé votre fiancée, et peut-être a-t-elle péri dans les flammes, car, furieux que vous leur ayez échappé, ces hommes ont pillé votre maison et l’ont incendiée.

Nadir semblait rester insensible à la dernière partie de ce récit ; le nom de Sita lui avait arraché seulement un soupir de pitié, tandis qu’il ne cessait de répéter à voix basse : Romanshee mort ! Romanshee mort ! Que faire ?

— Qui a ordonné le pillage de ma maison ? demanda-t-il tout à coup,