influence divine, je pris doucement mes compagnons l’un après l’autre et les portai, sans les éveiller, dans un autre coin de la chambre que nous occupions. Puis, retenant mon haleine, glissant sur les nattes comme un tigre dans le fourré des jungles, je mis à la place que j’occupais avec mes amis les trois fils du brahme Raschow.
« La lune à demi voilée éclairait à peine de quelques rayons blafards cette scène étrange ; Brahma seul pouvait avoir donné à un enfant de quinze ans la force de déplacer des cinq hommes.
« Je m’étais étendu auprès de mes guides, et nous étions depuis peu d’instants dans cette nouvelle situation, nos turbans de mousseline voilant nos visages, lorsque je vis le vieillard pénétrer dans la salle et s’approcher de nous pour s’assurer de notre sommeil.
« J’eus le pressentiment qu’une scène horrible allait se passer, et cependant j’étais calme, plein de confiance. Il me semblait que ma destinée me protégeait, que je pouvais braver impunément tous les dangers !
« Raschow tenait à la main un long poignard, trempé sans doute dans ces sucs empoisonnés du mancenillier ou de l’upas qui rendent mortelles les moindres blessures.
« Il se prosterna, leva vers le ciel ses mains amaigries en murmurant une prière, et continua sa marche de serpent vers le groupe de ses fils qui dormaient et qu’il prenait pour moi et les deux compagnons.
« La lune isolée des nuées s’était faite plus brillante ; elle semblait un flambeau funèbre qui venait de s’allumer dans les cieux.
« Le brahmine n’était plus qu’à une longueur de bras de ses fils ; ses yeux pleins d’éclairs paraissaient chercher sous les plis des pagnes l’endroit où il devait frapper.
« Lorsque ses yeux scrutateurs se furent rendu compte de la position des trois corps, il n’hésita pas ; il allait accomplir un acte agréable à son dieu !
« Plus prompt que la pensée, plus rapide que l’éclair, plus agile que la panthère, il s’élança, et sa main nerveuse plongea trois fois jusqu’à la garde, dans le cœur de ses enfants, le poignard qui nous était destiné.
« Les victimes n’avaient pas eu le temps de pousser un cri, de faire entendre une plainte. Le prêtre avait frappé juste. »
À ces mots, un frisson d’horreur parcourut l’auditoire, mais Feringhea resta calme, et se tournant à demi vers la foule, il l’enveloppa d’un long regard de mépris.
— Le sacrifice accompli, reprit-il, le vieillard gagna la source qui coulait en face de sa maison ; il y fit ses ablutions, et j’entendis sa voix s’élever en priant vers le dieu qui veut des victimes humaines et pour lequel l’odeur