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colonel, car si j’en voulais croire les on-dit, il s’est pris d’une belle passion pour miss Ada depuis qu’il lui a sauvé la vie.

— Oh ! cette passion-là m’inquiète peu.

— Je le pense bien, mais elle vous inquiétera moins encore désormais, car en ce moment même on arrête le vieux brahmine et ses amis, et demain Nadir sera votre pensionnaire à Golconde. Vous avez fait remettre au prince ses lettres de recommandation pour Londres, je sais qu’il doit partir au point du jour ; il n’y a donc même pas de danger qu’il aille se plaindre au Nizam et qu’il réclame son ami. Faites-moi le plaisir de m’accompagner jusqu’au Gouvernement, où ces dames nous attendent pour prendre le thé. Je vous donnerai là mes dernières instructions.

Miss Ada n’en avait pas entendu davantage ; elle s’était empressée de rentrer dans son appartement, où elle avait ordonné à Sabee de se mettre à la rechercher de Nadir et de le lui amener par la petite porte du parc.

Or, à cette heure avancée de la soirée, la jolie Mahratte avait toujours à ses ordres un brave cipaye du nom de Roumee, qui était son fiancé et attendait dans les environs de l’hôtel que son service permît à la jeune fille de venir le rejoindre.

Sabee s’était mise à la fenêtre et avait fait entendre un roucoulement si parfaitement imité qu’on eût dit qu’un couple de pigeons bleus venait de se blottir dans les massifs.

Cinq minutes après, Roumee était arrivé, sa fiancée lui avait dit à l’oreille quelques mots entrecoupés de baisers, et le cipaye avait disparu.

Nous savons avec quelle adresse il avait rempli sa mission et quel en avait été le résultat.

Moins d’une heure après son départ, Sabee, qui guettait à la grille le retour du soldat indigène, avait saisi la main de Nadir et l’avait entraîné jusqu’à la maison.

Ils n’avaient pas échangé un seul mot en traversant le parc.

Lorsque miss Ada les entendit monter les degrés du perron, elle se prit à trembler.

Seulement alors elle comprit tout ce que sa démarche avait d’imprudent, quoique son père ne vint jamais chez elle.

Il était trop tard, Sabee venait d’ouvrir la porte du boudoir où sa maîtresse l’attendait, et après s’être effacée pour laisser passer Nadir, elle s’était hâtée de rejoindre son amoureux.

La fille de sir Arthur appela à son aide tout son courage et s’avança vivement vers l’Hindou :

— Nadir, lui dit-elle rapidement, vous m’avez jadis sauvé la vie, c’est à mon tour aujourd’hui de sauver la vôtre ; voici ce que le gouverneur disait à mon père il y a quelques instants à peine.