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Elle était trop fière pour jamais soulever cette question, à laquelle peut-être sir Arthur n’aurait su comment répondre.

Seule alors, sans famille, d’un tempérament nerveux et impressionnable, dont aucune des aspirations ne trouvait d’aliment dans le mode d’existence qu’elle avait dû accepter pour se soumettre aux usages créoles, elle n’avait eu de refuge pour son esprit que dans la lecture des poëtes de sa patrie, et son imagination s’était exaltée encore aux récits de leurs amours et de leurs haines.

Byron, avec son doute désespérant, sa mélancolie contagieuse, vint achever chez elle l’œuvre commencée par le fantastique de Shakspeare ; et il allait la livrer dans défense aux premiers combats de son cœur.

Les adorateurs ne pouvaient lui manquer au milieu de ce monde oisif auquel elle appartenait.

Les uns la voulaient pour cette riche fortune qu’on lui connaissait ; les autres la désiraient seulement parce qu’elle était vraiment belle et charmante : belle de la fraîcheur de son teint, de ses longs cheveux d’or et de ses grands yeux profonds ombragés de longs cils ; charmante de son triste sourire et du timbre adorable de sa voix.

Mais elle avait évincé tous les soupirants les uns après les autres.

Seul, le capitaine George Wesley, aide de camp du gouverneur, avait paru pendant quelque temps avoir des chances de succès, lorsque subitement, à son grand désespoir, car il était follement épris de miss Ada, il eut le sort commun.

Ce fut le lendemain du jour où le prince Moura-Sing avait présenté Nadir chez sir Arthur Maury.

À la vue de ce bel Hindou, qui réunissait si bien en lui les divers types de ses héros aimés, sa curiosité s’éveilla d’abord, puis elle voulut le connaître davantage.

Pour lui plaire, George lui-même le lui amena.

La liberté des mœurs anglaises et créoles les autorisait à de longues promenades, pendant lesquelles les récits poétiques et imagés de l’Hindou la firent vivre dans ce monde étrange qu’elle aimait, et la conduisirent doucement sur la pente fatale où glissa rapidement son cœur, si privé d’affections.

Elle s’aperçut bientôt qu’elle aimait Nadir d’un amour profond, désespéré, contre lequel elle ne voulait pas lutter, car elle sentait que rien ne pouvait la défendre ; puis le jeune homme lui sauva la vie, et, en lui donnant toute son âme, elle s’efforça de se persuader qu’elle ne faisait que payer une dette sacrée.

Nadir avait semblé répondre à cet amour et en être fier, mais tout à coup