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Dès qu’il eut tourné l’angle du palais de Moura-Sing, il reconnut parfaitement les pas de l’Hindou qui s’éloignait en courant, et s’étant assuré de nouveau que la rue était déserte, il traversa rapidement tout le faubourg Noir.

Il n’avait pas aperçu deux hommes qui, blottis dans les ombres épaisses que projetaient les hautes constructions du palais, le guettaient bien certainement, car dès qu’il les eut dépassés, ils se mirent à le suivre à une centaine de mètres de distance et en s’abritant le long des murailles, afin de ne pas être découverts.

C’était d’ailleurs, de la part de ces hommes, une précaution presque inutile, car Nadir poursuivait sa route, tout entier à ses réflexions et sans se préoccuper de ce qui pouvait se passer autour de lui.

Il se demandait ce que voulait dire ce rendez-vous si pressant de miss Ada, comment sa liberté, sa vie, à lui, pouvaient être menacées ; et il s’efforçait de grouper les incidents de sa jeunesse, qui lui disaient assez qu’il était le centre vers lequel convergeait tout un monde mystérieux dont le but lui était inconnu.

C’est plongé dans ces réflexions qu’il franchit l’esplanade, passa devant le palais du gouvernement et gagna les gardens, longue avenue ombreuse sur laquelle ouvraient les parcs des hôtels qui avaient leur façades sur la grande rue.

Il eut bientôt reconnu la grille qui fermait de ce côté la maison de miss Ada. La porte en était entr’ouverte.

Il prêta un instant l’oreille, sonda les ténèbres de l’avenue, et n’entendant ni ne voyant rien de suspect, il se glissa dans le jardin.

Il n’y avait pas fait dix pas à tâtons, car l’obscurité y était profonde, qu’il sentit une main qui saisissait la sienne et l’entraînait.

Les deux hommes qui l’avaient suivi s’étaient arrêtés en face de la maison, derrière un platane. Lorsqu’ils furent certains que Nadir avait pénétré dans le jardin, l’un d’eux redescendit l’avenue en courant et l’autre gagna la grille.

Arrivé là, ce dernier tira doucement la porte à lui, et passant le bras à travers les barreaux pour retenir le pêne de la serrure, il réussit à la fermer sans bruit.

Nadir, qui s’était laissé conduire par son guide, entrait à ce même moment dans l’hôtel du colonel Maury.

Sir Arthur Maury était un de ces gentilshommes anglais pleins de morgue et de fierté, qui cachent parfois sous des formes parfaites de gentleman ces vices honteux qui abaissent certains membres de l’aristocratie anglaise au niveau de leurs jockeys.

On disait qu’il n’était venu prendre du service aux Indes qu’à la suite des