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Il était venu s’offrir un matin, le lendemain même de la disparition de celui qu’il voulait remplacer, et sa physionomie expressive et ouverte avait si bien séduit Moura-Sing, que malgré les observations du vieux Seler, le prince ne pouvait plus se passer de lui.

Cependant il n’avait pas cédé à Schubea, lorsque celui-ci lui avait conseillé de n’emmener aucune femme.

Après la mort de celle qu’il avait désignée d’abord, il avait arrêté son choix sur une jolie bayadère qui, depuis quelques mois, grâce à un caprice du prince qui l’avait remarquée un soir de fête, avait déserté le temple de Brahma pour son harem.

C’était une charmante et insouciante jeune fille.

Elle bondit de joie en apprenant qu’elle accompagnerait son maître et seigneur jusqu’à Bombay, et en chantant comme l’oiseau gracieux dont elle portait le nom — elle s’appelait Gaya, — elle avait fait exprès ses préparatifs de départ.

Moura-Sing avait bien aussi communiqué ses pensées à son intendant, mais Seler était un vieil Hindou de cette indomptable race Sick que les Anglais n’ont jamais pu soumettre, et il désirait trop voir chez eux les conquérants de sa patrie, pour ne pas pousser son maître à l’exécution de son projet.

— Ainsi tu es bien décidé à partir ? reprit Nadir, en voyant son ami ne répondre que par un sourire à ses dernières observations.

— Tout à fait décidé. Je quitterai Hyderabad demain matin : rien ne m’y retient plus.

— Pas même l’amour de la patrie ?

— Ni celui des deux grands yeux bleus dont Sita est jalouse, je te préviens.

— Moura-Sing !

— Pardon, Nadir, je ne te demande pas ton secret. Tout ce que je veux de toi, c’est le serment de ne pas m’oublier trop vite.

— Pars sans crainte, ami, je me souviendrai toujours que tu es le fils de l’homme qui m’a recueilli, mon frère bien-aimé. Pars et que Vischnou te protège !

Et après avoir serré une dernière fois Moura-Sing dans ses bras, Nadir sortit rapidement de ce palais dont l’atmosphère semblait l’étouffer.

Il se dirigea vers sa maison.

Il avait fait dix pas à peine lorsqu’un Hindou, qui se tenait blotti dans l’ombre, s’approcha de lui.

La lune venait de se lever derrière la citadelle de Golconde, qui se dressait à l’horizon comme une silhouette menaçante ; un de ses rayons frappait l’Hindou au visage ; Nadir le reconnut avec étonnement pour un cipaye qu’il avait vu souvent chez le colonel Maury.