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déshonorées sur les places publiques ; on broyait les enfants sous les roues des chars.

Et cela dura près d’une année, malgré les efforts surhumains des généraux Anson, Colin Campbell, Wilson, Laurence, Hawelock, Neill et bien d’autres encore, qui s’illustrent dans cette épouvantable lutte, non-seulement contre des tigres à face humaine, mais contre le climat, les épidémies, les dangers de toute nature.

Au commencement de 1858 enfin, grâce aux cipayes restés fidèles, grâce surtout aux Sicks[1], dont les prêtres même avaient blâmé la révolte, l’insurrection commença à céder, et les bandes féroces de Nana-Sahib, après la prise de Lucknow, durent se retirer sur les frontières du Népaul.

Les Anglais les poursuivirent au milieu des marais de ces contrées et ce fut pendant plus d’une année encore une véritable chasse à l’homme. Les principaux chefs révoltés furent fait prisonniers et pendus, mais Nana-Sahib parvint à s’échapper dans le Népaul, d’où parfois il eut la hardiesse de se glisser jusque sur le territoire anglais sous divers déguisements.

Depuis lors, on a souvent annoncé son arrestation, mais toujours à tort. Nana-Sahib est resté insaisissable, et celui qui écrit ces lignes peut donner à son sujet un renseignement que les autorités anglaises semblent ignorer.

L’irréconciliable ennemi de la puissance britannique aux Indes est amputé du petit doigt de la main gauche, et cela par sa propre volonté.

Au moment de s’échapper de Cawnpore, Nana-Sahib réunit autour de lui les brahmines et leur dit :

— Nos rites religieux veulent que notre corps soit brûlé pour que Yama nous reçoive avec bonté ; Brahma seul sait ce que je vais devenir. Peut-être périrai-je dans quelque combat, loin des miens. Aucun de mes serviteurs alors ne sera près de moi pour étendre ma dépouille sur un bûcher et le juge des morts repoussera mon âme. Je ne veux pas qu’il en soit ainsi, et pour observer nos rites sacrés, je fais d’avance le sacrifice d’une partie de moi-même.

Et d’un coup de sabre, le fanatique s’enleva le petit doigt de la main gauche, qui, par son ordre, fut brûlé cérémonieusement sous les yeux et devant une foule enthousiaste.

Depuis cette époque nul n’a plus revu Nana-Sahib ; mais, ainsi que nous allons le prouver par la seconde partie de ce récit, la haine des Hindous n’était qu’assoupie ; elle devait se réveiller un jour, pour n’être, bien que sous une autre forme, ni moins impitoyable ni moins dangereuse.


FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

  1. Peuple guerrier du nord de l’Inde.