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À Calcutta, où le nombre d’exécutés avait été bien plus considérable, l’autorité avait dû ne pas laisser les cadavres au grand air. Elle avait décidé que trois heures après l’exécution les quatre-vingt-trois corps des suppliciés seraient portés à la cour des Morts pour y être brûlés et jetés dans le Gange.

C’était à l’extrémité du faubourg noir, le Peltah, que se trouvait la cour des Morts.

C’était un grand espace quadrangulaire, fermé de trois côtés par de hautes murailles.

Le côté qui faisait face à la porte donnait sur le fleuve dont les eaux roulaient noire et tumultueuses.

Là, le mur était remplacé par des marches qui descendaient jusque dans les flots.

Lorsque les cadavres des suppliciés y arrivèrent, la nuit était tout à fait tombée, pas une étoile ne brillait au ciel.

De gros nuages noirs couraient de l’est à l’ouest, en annonçant l’orage. Le calme de ce lieu sinistre n’était troublé que par les mugissements des lames contre les gradins de pierre, les crépitements des branches sèches et les psalmodies monotones des prêtres.

L’atmosphère était chargée des exhalaisons fétides qui s’échappaient de quarante bûchers sur lesquels des hommes demi-nus jetaient sans cesse de la poix et du beurre.

Les flammes, attisées ainsi, semblaient s’élever parfois jusqu’au ciel. Tout prenait sous leurs vives et subites lueurs des formes fantastiques.

Pendant que l’opération s’achevait, les serviteurs du lieu allumaient leurs pipes aux charbons des bûchers, les parents des suppliciés chantaient des hymnes à Yama, et les rares curieux qui s’étaient hasardés dans cet endroit redouté du faubourg noir pouvaient suivre jusqu’au sommet des murailles les capricieuses découpures de la flamme, qui se jouaient dans mille sculptures bizarres dont sont couverts les murs de la cour des Morts.

Le long des trois murailles, à des hauteurs différentes, jetées sans ordre et comme groupées par le hasard, sortaient des reproductions en relief de tous ces oiseaux qui planent sur le Gange, objets de la vénération des Hindous.

C’étaient des vautours, aux longs cous dénudés, des aigles aux regards fixes, des milans aux becs et aux serres acérées, des condors à l’aspect hideux.

Mais un grand mouvement se fit tout à coup, les cadavres avaient atteint le degré de carbonisation voulu ; il ne restait plus qu’à accomplir le dernier acte des funérailles des suppliciés, c’est-à-dire jeter dans le Gange ces tristes dépouilles des maudits !