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de nouveau, mais cette fois pour livrer passage à un homme d’une quarantaine d’années, à la physionomie grave et douce.

C’était Romanshee, le brahmine de la pagode de Wichnou.

Un geôlier l’accompagnait, mais comme il avait ordre de laisser le prêtre seul avec le prisonnier, il ne franchit pas le seuil du cachot. Après avoir introduit le visiteur, il tira la porte derrière lui.

Dès qu’il se vit seul avec Feringhea, le brahmine se jeta à genoux et courba la tête jusqu’à terre devant celui qui était enchaîné.

Il murmurait :

— Maître, ton esclave est à tes pieds, ordonne.

— Relève-toi, Romanshee, lui dit le prisonnier affectueusement, les moments sont précieux ; approche et écoute-moi.

Le prêtre obéit et s’accroupit sur la natte auprès du chef des Thugs.

Ce que se dirent ces deux hommes, aucun étranger n’aurait pu le comprendre, car ils échangèrent leurs pensées dans un idiome connu seulement de quelques érudits hindous.

Feringhea parla longtemps. La physionomie de son auditeur exprimait le respect et la plus vive admiration.

— Toutes vos volontés seront faites, jura le brahmine lorsque Feringhea eut terminé.

— Et tu es certain de l’asile qu’a trouvé mon fils ? demanda le maître avec un soupir.

— Votre fils est en sûreté ; nul de songera jamais à aller le chercher chez celui qui l’a pris sous sa protection.

— C’est bien. Grave maintenant dans ta mémoire mes dernières paroles.

— Vos dernières paroles !

— Les dernières, oui, Romanshee. Voici une médaille que tu suspendra sur la poitrine de mon enfant à l’aide d’une solide chaîne d’or et une bague que tu lui donneras lorsqu’il aura atteint sa vingtième année.

En disant ces mots, Feringhea remettait au brahmine une large émeraude gravée et un anneau orné d’une grosse perle noire.

— Cette perle, ajouta-t-il, renferme, à la volonté de celui qui s’en servira, la vie ou la mort.

— Ainsi que cette autre, alors, dit Romanshee, en désignant une seconde bague que l’Hindou portait à l’index de sa main droite.

— Non, répondit Feringhea, cette autre bague ne contient que la mort, et elle est pour moi.

— Comment, vous voulez mourir !

— Je le dois : si je survivais à ceux que j’ai envoyés au supplice, je serais un lâche et le but que je me propose par les ordres de Brahma ne serait jamais atteint.