Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ce que dit le major, reprit Bob, vous explique, Vos Honneurs, comment j’ai pu si longtemps soutenir mon rôle.

— Oui, tout s’explique, fit le président, arrivez, Bob, aux derniers événements.

— Je le veux bien. Ma réputation de férocité était parfaitement établie dans l’Inde entière, lorsque des ordres supérieurs me firent revenir à Madras. J’étais destiné à entrer au service d’une jeune dame anglaise, qui était une des pourvoyeuses les plus impitoyables de l’association. Cette jeune dame, que vous voyez devant vous, messieurs, est miss Clara Trevor.

— Cet homme est un misérable, il ment ! s’écria la jeune femme au comble de l’épouvante.

— Silence, miss, l’heure des mensonges est passée, dit durement sir Georges Monby à la courtisane.

— Cette jeune dame, poursuivit Bob, avait été mise en rapport avec Feringhea par un Thug qui, moyennant cent livres, s’était chargé de la débarrasser d’un amant dont la jalousie lui pesait.

— Cet amant n’est-il pas le capitaine Patrice ? demanda le colonel Burton.

— Précisément, colonel. Il paraît que le capitaine gênait singulièrement les goûts de cette demoiselle. Il l’aimait, et en échange des sacrifices qu’il faisait pour elle, il avait la prétention d’être aimé seul, tout seul ! Ce n’était peut-être pas très-raisonnable, mais ce ne sont pas là mes affaires.

— Le capitaine Patrice n’a jamais fait de sacrifices pour moi, affirma miss Clara.

— Il avait dépensé toute sa fortune, le malheureux, continua Bob, lorsque la jeune miss s’aperçut qu’elle ne pouvait plus le souffrir. C’est alors qu’elle chargea un Thug de le tuer. Feringhea trouva le moyen qui devait éloigner tous les soupçons de la police. Un tigre pris la veille dans les jungles fut substitué au tigre qu’élevait le capitaine, et le malheureux, vous le savez, fut dévoré.

— J’ai toujours ignoré ce fait ; c’est faux ! s’écria la jeune femme.

— Excusez-moi, miss ; vous le savez si bien, que vous vous êtes chargé de détacher et d’emmener le tigre privé pendant qu’on enchaînait, à sa place, la bête féroce qui devait dévorer sir Patrice. J’étais là, il ne faut pas l’oublier.

Miss Clara, folle de colère, se leva comme pour se jeter sur Bob Lantern, mais les huissiers la forcèrent à s’asseoir.

— C’est alors cet horrible crime qui a lié miss Clara aux Thugs ? demanda le lord président.

— Votre Honneur l’a dit, répondit le témoin, ce crime la mettait à la discrétion de Feringhea. Le monstre en a abusé avec d’autant plus de faci-