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« — Misérable ! m’écriai-je.

« Et je me précipitai sur lui. Mais j’étais faible, mourant ; il me renversa sans peine.

« — Tiens-toi tranquille, me dit-il, nous ne voulons te faire aucun mal, au moins pour le moment. Ta vie nous assure les bonnes grâces de tes femmes. Tant que tu vivras, elles seront douces comme des gazelles.

« Je venais de me relever ; le Thug plaça près de moi un panier en me disant :

« — Voici de quoi manger.

« Et il sortit.

— Il y a déjà trois mois de cela ? demanda le président.

— Trois mois, oui, sir, répondit l’infortuné ; oui, pendant trois mois, j’ai vu vingt fois se renouveler les scènes abominables du premier jour. Une fois par semaine, au moins, l’ouverture s’éclairait et du fond de ma tombe j’étais le muet témoin des forfaits de ces monstres auxquels il faut du sang, des flots de sang pour assouvir de monstrueuses passions.

« J’ai assisté à des orgies sans nom, entremêlées de meurtres et de prières à Kâly. Successivement, j’ai vu périr dans des supplices inimaginables ma femme, ma bien-aimée Jane, et Mary. Puis, combien en ai-je vu se succéder de ces victimes ! Si je ne suis pas devenu fou furieux, si je ne me suis pas tué, c’est que je voulais vivre pour me venger !

— Ne sauriez-vous nous donner aucune indication sur le lieu où vous avez été détenu ?

— Aucune.

— Cependant, votre évasion ?

— Mon évasion, mylord, est un miracle de Dieu. Reconnaissant l’impossibilité de fuir, j’avais résolu de me laisser mourir de faim, lorsqu’un jour mon cachot fut brusquement envahi par mes bourreaux. De nouveau on me garrotta étroitement, on me mit un bâillon sur la bouche et un bandeau sur les yeux, et je ne tardai pas à me sentir lié en travers sur un cheval.

« Où m’entraînait-on ? Je ne me le demandai même pas. Que m’importait ! Je comprenais qu’une troupe assez nombreuse d’Étrangleurs m’entourait.

« Nous marchâmes longtemps. La nuit venue, on fit halte. Le lendemain on se remit en route, et nous marchions depuis bien des heures, quand tout à coup j’entendis de grands cris. Que se passa-t-il ? Je l’ignore ; le cheval sur lequel j’étais lié, et qui jusqu’alors avait marché au pas, partit au triple galop.

« J’étais, vous le comprenez, affreusement secoué. Ce fut une course insensée à travers la campagne. Parfois le cheval traversait un bois, et alors les branches des arbres déchiraient mon corps.