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« Au milieu du silence religieux qui régnait dans la caverne, mon second roucoulement allait produire un effet plus terrible encore que le premier.

« Pour indiquer aux misérables que le danger qui les menaçait était imminent, je le prolongeai, ainsi qu’ils me l’avaient appris eux-mêmes sans se douter qu’il me fournissaient des armes contre eux ; et voyant que la panique s’emparait de leurs esprits, je me hâtai de quitter ma retraite.

« Mais je n’avais encore exécuté que la première partie de mon plan ; la seconde était plus dangereuse et plus difficile.

« Il s’agissait pour moi de me placer à la sortie ouest de la caverne, pour y faire, tout seul, la tâche dont je n’avais pas voulu confier l’exécution à des soldats, de peur qu’ils n’arrivassent trop tard.

« Ainsi que je l’ai dit, le sentier était tellement étroit au-dessus du précipice qu’un seul homme pouvait y passer à la fois.

« En outre, l’ouverture de la grotte, qui était presque au niveau du sentier, avait à peine cinquante centimètres de hauteur sur un mètre de largeur. Les Thugs ne pouvaient donc y passer qu’un à un.

« Cinq minutes me suffirent pour venir me poster à gauche de cette fissure de la montagne.

« Quelques secondes de plus, il aurait été trop tard, car à peine étais-je à l’endroit que j’avais choisi, que j’entendis le bruit d’un homme qui rampait pour sortir.

« Debout, mon bâton levé, j’attendais immobile.

« Un Thug, se traînant sur les genoux, parut enfin en dehors de l’ouverture et se releva pour examiner le chemin qu’il devait suivre.

« Mon bâton s’abattit aussitôt et le bandit, perdant l’équilibre, roula dans l’abîme sans même pousser un cri.

« Permettez-moi d’abréger les détails de ce massacre.

« En moins d’une heure, quarante fois mon bras se leva pour retomber ; à chaque coup un Étrangleur disparut dans le précipice.

« J’accompagnai d’un cri de triomphe la chute du dernier des sectateurs de Kâly, et je rentrai dans la caverne.

« Aucune des victimes n’avait été sacrifiée, mais toutes mouraient de terreur. Je les rassurai et courus à Madras demander les secours nécessaires.

« Ici se termine ma déposition, mylord. Tout le monde sait comment des soldats anglais, guidés une nuit par un pauvre Hindou, délivrèrent quarante femmes de la caverne de la Terreur. Les prisonnières ont raconté elles-mêmes à leurs familles le danger qu’elles avaient couru.

« L’Hindou, c’était moi, Jabez-Jaurack le paria ! Je ne demande qu’une seule récompense à celles que j’ai arraché au fatal mouchoir, c’est d’être moins dures à l’avenir que dans le passé pour ceux de ma race maudite. »