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malédiction, il s’affaissa dans les bras des deux cipayes qui l’avaient amené à l’audience.

Pendant qu’on emportait ce malheureux, le président levait la séance, et la foule, dont l’indignation croissait à chacun de ces nouveaux drames, se retirait profondément émue.


XIX

LE CHASSEUR DE THUGS.



Le lendemain, lorsque les débats reprirent à l’heure accoutumée, l’auditoire vit s’avancer vers la barre des témoins un homme de quarante ans environ, d’une taille herculéenne et à la figure énergique et sombre.

Il était vêtu d’un simple sarreau de toile et ne portait pas de chaussures.

En passant devant les bancs des accusés, il leur lança un regard chargé de haine. On eût dit que de ses bras nerveux, il voulait les étreindre tous, pour n’en faire qu’une victime.

— Votre nom ? lui demanda lord Monby.

— Jabez-Jamrack, le Chasseur de Thugs.

À ces mots « le Chasseur de Thugs » quelques-uns des accusés se levèrent pour mieux voir le témoin, et ils laissèrent échapper aussitôt mille malédictions. Hyder-Ali surtout, le jemadar, paraissait vivement ému.

— Racontez-nous ce que vous savez, dit le président au témoin, après avoir imposé silence aux Étrangleurs.

— Mylord, commença aussitôt Jabez d’une voix ferme, j’appartiens à cette caste repoussée à la fois par les Indiens et les Européens et chassée de partout comme si elle portait la peste dans ses flancs. En un mot, je suis un paria. Vous savez ce que ce nom cache de misère.

« Il y a un an, j’habitais non loin de Madras, dans un endroit désert, une misérable cabane que j’avais bâtie moi-même ; mais si je vivais misérablement avec les quelques poignées de riz que je récoltais, du moins je ne me plaignais jamais de mon sort.

« J’avais entendu dire souvent que les Thugs commettaient des crimes sans nombre, mais peu m’importait. C’était à ceux qu’ils attaquaient de se défendre.

« Un soir, à la tombée de la nuit, des cris de frayeur vinrent tout à coup troubler ma solitude. Je sortis de ma cabane, et j’aperçus, à une centaine de pas, deux hommes enlevant une femme qui se débattait, pendant que d’autres individus arrêtaient une caravane allant à Madras.