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« — Il est trop tard, murmura le comte.

« — Un dernier espoir vous reste, maître.

« — Lequel ?

« — Laissez-moi seul ici.

« — Ils te massacreront.

« — Qu’importe, si je vous sauve, vous et votre enfant ! Je vous en supplie ! Prenez le sentier du ravin, qui, du nord de l’habitation, aboutit à la forêt de lièges. De là vous gagnerez Seringham et vous m’enverrez du secours… s’il en est temps encore. »

Une rumeur approbative de l’assemblée interrompit en cet instant le récit du brave Yvan.

Les femmes pleuraient.

Les lèvres des Thugs se plissaient sous un sarcastique sourire.

Mais Yvan, la tête en feu, ne prit nulle attention à ces mouvements divers.

— Je parvins enfin, reprit-il, à décider mon maître. Il me serra dans ses bras. Oh ! que j’étais heureux alors de mon dévouement ! Olga, elle-même, me remercia de sa voix si douce, et…

Yvan s’arrêta suffoqué par des souvenirs douloureux.

— Du courage ! lui dit le président.

Le pauvre serviteur continua :

— Une minute encore, et ils étaient sauvés tous les deux ! Mais soudain les révoltés enfoncèrent la porte de la chambre.

« Un coup de feu retentit.

« Mon maître tomba mort.

« Il était encore parmi les esclaves, lui ! l’infâme ! Feringhea ! Il commandait ceux qu’il avait excités en leur faisant boire du rhum, en leur promettant les récompenses accordés aux meurtriers par sa divinité maudite.

« — Yvan, sauve-moi ! supplia Olga, affolée.

« Le pistolet au poing, je me plaçai devant elle.

« — Laissez-moi sortir, misérables, m’écriai-je avec désespoir ; le premier qui s’avance est mort !

« Vaine menace !

« Un lazzo siffla dans l’air.

« Lancé par le chef des Thugs, il vint s’enrouler autour du cou d’Olga, qui tomba à son tour.

« Aussitôt, prompt comme la foudre, Feringhea s’élança, saisit la malheureuse enfant et l’emporta en poussant un ricanement sinistre.

« Je fis feu sur lui, mais sans l’atteindre.

« C’est alors que se ruèrent comme un torrent, dans la chambre, des hommes qui je n’avais pas encore vus parmi les noirs.