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rière moi, la voix de Van Lynden m’arrivai brisée par la peur, et son épouvante me gagnait peu à peu.

« Tout à coup, un effroyable cri retentit, répercuté par les échos de la forêt, et sur ma mule folle de frayeur, cabrée, se précipita un corps humain qui me mordit au cou comme une bête fauve. Je sentis une horrible strangulation et roulai par terre inanimé. »

Après avoir prononcé ces mots, le vieillard s’arrêta comme effrayé de ses propres souvenirs. Il essuyait des gouttes de sueur qui perlaient sur son front et tremblait.

Il parvint cependant à dompter son émotion, et reprit :

— Quand je revins à moi, j’étais dans une clairière entourée d’arbres, au milieu de mes ennemis, au milieu des Thugs.

« En face de moi, et les bras croisés, Van Lynden se tenait droit et fixait sur moi ses yeux cruels. Il riait d’un rire de démon. Le misérable était un des sectateurs de Kâly !

« — Me reconnais-tu, me dit-il ; ai-je bien joué mon rôle ? Ah ! lettré, tu ignorais les coutumes des enfants de Bohwanie, tu vas les connaître. Kâly a demandé la mort de ta femme et celle de tes fils ; leur sacrifice sera agréable à la déesse. Quant à toi, tu n’aurais aucun prix pour elle, mais sa vue sera réjouie des tortures auxquelles nous allons te soumettre. Prépare-toi, Meng-Tseu, tu vas souffrir !

« — Grâce ! m’écriai-je. Au nom de Fô tout-puissant, grâce pour ma femme et mes enfants, ne les tuez pas, n’immolez pas Pe-Ly, cette blanche fleur plus pure que les lys du Yan-Tse-Kiang. Par pitié, Van Lynden, ne leur fais pas de mal ! Mon vieux corps t’appartient, torture-le ; mais épargne ma femme, épargne mes fils.

« Il ne répondit rien, sourit, haussa les épaules et se rapprocha de ses hommes pour donner des ordres.

« Quoique je sois brisé par l’âge, je me sentis à ce moment une force surhumaine, et, me soulevant, je tordis mes mains débiles pour briser les cordes qui les entouraient ; puis, hagard, fou, je lui jetai au visage toutes les imprécations que me suscita la colère.

« Mais ma fureur fut impuissante, et je retombai à terre, attendant avec une effroyable anxiété ce qui allait se passer.

« Deux hommes avaient délié le corps de Pe-Ly, et la pauvre femme évanouie s’affaissa sur le sol. Sans être touchés de sa jeunesse et de sa beauté, ils la traînèrent par ses longs cheveux au centre de la clairière.

« À ce moment Van Lynden ouvrit un sac et le jeta aux pieds de la malheureuse. Tous les Étrangleurs s’écartèrent comme épouvantés.

« Ce que je vis alors fut horrible : par l’ouverture du sac sortirent un masse de têtes immondes, longues et plates, avec des taches noires et lui-