Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Ne voulant pas croire encore au malheur dont il était menacé, il laissa ici une partie de sa maison. Il n’emmena avec lui que quelques domestiques. Parmi eux se trouvait un Télinga dans lequel il avait une confiance absolue, illimitée, et que sa fille adorait.

« Cet homme, en effet, était le modèle des serviteurs. Depuis près de deux ans qu’il était dans la maison, pas une plainte, pas un murmure. Son dévouement à la famille dans laquelle il vivait était sans bornes.

« Il s’appelait Soulami.

« C’était à lui que le père et la mère confiaient leur fille lorsqu’ils étaient forcés par leurs relations du monde de s’absenter tous deux en même temps. L’Hindou se faisait alors femme patiente, mère attentive, pour veiller sur son précieux dépôt.

« La fillette rendait à Soulami affection pour affection, et les regards ne pouvaient s’arrêter sans émotion sur le groupe bizarre que formaient cette enfant frêle et blanche, folle et rieuse, aux longs cheveux bouclés, aux grands yeux bleus, et cet homme bronzé, grand et fort, à la physionomie grave et pensive.

« Quand Ada devint malade, Soulami ne voulut plus la quitter ni le jour ni la nuit. Ce n’était que de ses mains qu’elle acceptait les potions ordonnées.

« Il semblait que la vie du serviteur fût attachée à celle de l’enfant.

« Cependant l’air des champs fut tout d’abord favorable à la malade. Ada put se lever : on la laissa même, une belle journée, sortir dans le parc. Mais bientôt sir Albert Melvil inquiet la rappela auprès de lui.

« Ada remonta les degrés de la vérandah pour rejoindre son père. Les derniers rayons du soleil irisaient d’or ses boucles blondes tombant sur ses épaules ; son teint était animé ; ses yeux limpides avaient d’étranges regards.

« En la voyant approcher, il fut saisi d’une impression subite et douloureuse. Il est un genre de beauté si intense et cependant si fragile que nous ne pouvons en supporter la vue.

« Son père la prit vivement dans ses bras, en lui disant :

« — Ada, ma bien-aimée, tu es mieux maintenant, n’est-ce pas ?

« Ada tremblait. Sir Albert la mit sur ses genoux, et l’enfant appuyant sa tête sur la poitrine de son père, répondit :

« — Il est inutile, cher père, de garder cela plus longtemps en moi-même. Le temps est venu où je dois vous quitter. Je m’en vais pour ne plus revenir.

« Et l’enfant se prit à sangloter.

« — Oh ! chère petite, dit M. Melvil d’une voix tremblante, mais d’un