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« Puis, à travers ses éclats de rire, il ajouta :

« — Je viens encore en parlementaire. Nos camarades ont fait tant de prisonniers que, pour les délivrer, Nazir veut vous proposer un important échange. Ainsi, à vous et à moi, il nous propose la vie sauve si… Ah ! ah ! laissez-moi rire… si nous voulons lui livrer le général.

« — Le général ! quel général ? demandâmes-nous tout surpris.

« — Ah ! ah ! voilà le comique. Figurez-vous qu’avec sa culotte de peau, ses bottes à l’écuyère et son chapeau à plumet, ils ont pris notre malade pour un général. Or ils veulent s’assurer de ce précieux otage pour l’échange en question.

« — Livrer notre compagnon, jamais ! répondit Ireton.

« — Parbleu ! je le sais bien ; mais ça n’empêche pas de rire un peu de la bêtise de ces animaux qui prennent un pareil costume pour un uniforme.

« L’artiste avait tout entendu. Il se dressa pâle et résolu sur ses jambes qui tremblaient et se dirigea vers le bord de la roche.

« — Où allez-vous ? lui demanda le colonel.

« — Croyez-vous que je vais marchander les trois ou quatre heures d’existence qui me restent quand elles peuvent sauver la vie de trois braves cœurs qui ont eu pitié de moi ? Vous m’avez juré de veiller sur Poussette, que me faut-il donc de plus ?

« — Nous ne vous laisserons par partir ! lui répondîmes-nous.

« L’artiste était sur le bord de l’abîme, il se retourna à ces mots :

« — Colonel, je jure de me briser la tête en me jetant en bas, si vous ne me donnez pas la corde. Seulement, hâtez-vous, car il me reste juste assez de force pour rejoindre ces misérables.

« Devant une telle fermeté, il fallait obéir.

« Le malade fut descendu, et Calm, délié par les Thugs, remonta par la corde.

« Alfred avait dit la vérité en parlant de ses forces épuisées ; il s’affaissa entre les mains des Thugs, qui comprirent que leur otage allait mourir.

« Ils poussèrent un cri de rage.

« Mais, au même instant, un son, d’abord incertain, s’éleva derrière la forêt ; puis le bruit augmenta et nous reconnûmes les fifres du régiment des cipayes qui arrivait enfin.

« Nous étions sauvés !

« Saisis de terreur, les Thugs s’enfuirent aussitôt, abandonnant le mourant à terre.

« Nazir seul resta.

« Avant de disparaître, il voulait une dernière proie à sa rage ; il bondit vers l’artiste et lui entoura le cou de ses mains.