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« La mort d’un frère aîné, en donnant au colonel une des grandes fortunes de l’Angleterre, l’avait forcé à quitter les Indes ; mais bientôt, fatigué de la vie de millionnaire, il avait regretté son ancienne existence si remplie de périls, de fatigues et d’âpres jouissances. Alors son originalité avait trouvé un singulier prétexte pour retourner aux Indes en simple amateur.

« Il avait invoqué la cuisine.

« Calm, le second passager, ne s’était jamais séparé du colonel, dont il était le frère de lait. Il s’était engagé pour le suivre au régiment, et il aurait refusé tous les grades que lui méritait son indomptable bravoure pour ne pas quitter Ireton. Comme lui, il était revenu en Europe et, comme lui, il avait pris en haine l’existence tranquille.

« L’ennui lui avait suggéré une occupation : il s’était fait cuisinier du colonel et passait son temps à lui confectionner tous ces plats indiens qu’ils mangeaient jadis, pendant leurs campagnes.

« Un beau matin, le colonel appela Calm et lui dit :

« — Ton karrick à l’indienne est raté, mon brave.

« — En quoi ? colonel.

« — Je l’ignore, mais il y manque quelque chose.

« — J’ai mis tous les ingrédients de ma recette.

« — C’est possible ! Mais là-bas il avait un parfum, un goût, que sais-je ? un rien qui manque ici. Je parie que tu as fait un oubli ?

« — Je vous affirme que la recette…

« — Alors ta recette est mauvaise.

« — Si nous écrivions aux Indes, au capitaine Clowe, de nous en envoyer une autre ?

« Faisons mieux. Allons la lui demander nous-mêmes.

« Calm ne fit qu’un bond à sa chambre pour préparer sa valise, et le soir même, Ireton et Calm se mettaient en route pour aller au bout du monde chercher une recette de cuisine.

« Il s’étaient fait suivre d’un fidèle compagnon, Black, un grand épagneul au poil noir.

« Vingt-quatre heures après mon embarquement sur le Saint-Remy, les petits soins que nous prodiguions ensemble à l’artiste moribond m’avaient lié avec le colonel.

« — Votre compatriote est perdu ; l’air de la mer le soutient, mais il va mourir en débarquant à Calcutta, me dit-il.

« — Oui, colonel, mais peut-être vivrait-il encore quelques semaines s’il n’était miné par l’inquiétude du souvenir d’une sœur aimée.

« Et je lui contai l’histoire de dévouement du pauvre pierrot pour sa sœur Poussette.