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l’embouchure du Maroni et où, dès que le soleil est levé, viennent bailler les monstrueux sauriens, les énormes tortues, tous les hideux reptiles du fleuve.

Ils commencèrent alors à dégager leur pirogue des branchages qui la recouvraient et la transportèrent à gauche du radeau, c’est-à-dire du côté de la rive hollandaise, de façon à n’avoir plus qu’à déborder, dès qu’ils seraient en mer, loin de tous les regards.

Ce travail était terminé quand ils arrivèrent par le travers des Hattes, pointe extrême de la colonie.

Nos deux héros se tenaient immobiles au milieu du feuillage, car ils passaient tout près du rivage, d’où ils pouvaient être aperçus, et Jean suivait des yeux un grand épervier pagari, devant lequel fuyaient à tire d’aile des volées de petits oiseaux, quand tout à coup il entendit à ses pieds un horrible cri, à demi étouffé.

Il baissa les yeux et se redressa avec épouvante.

Un énorme caïman s’était à demi hissé sur le radeau par l’un des interstices que laissaient les arbres entre eux, et il avait saisi dans sa redoutable mâchoire une des jambes de Rabot, qui se tordait de douleur.

Mourel bondit à la pirogue, y prit sa carabine, revint à son ami, et il allait faire feu dans la gueule sanglante du monstre, quand Pierre, par un dernier effort, saisit le canon de l’arme et dit, à travers ses plaintes :

— Non, ne tire pas ! On t’entendrait des Hattes, tu serais perdu !

Et le membre pantelant, l’immonde saurien ayant plongé en emportant sa proie, le malheureux retomba en arrière, défiguré, pâle, les yeux déjà clos et murmurant :