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barqués, les forçats sentirent leur cœur se serrer à la vue du sol dénudé, d’un rouge brun, aride, brûlant, sur lequel ils devaient vivre, employés à divers travaux, jusqu’à ce qu’ils fussent répartis dans les établissements pénitentiaires que le gouvernement créait à terre, soit à Cayenne même, soit dans le sud de la Guyane, soit au nord, sur les rives du Maroni.

En attendant, ils étaient au moins débarrassés des fers et de la livrée infâme, — le peloton de correction seul portait la chaîne et le costume traditionnel des bagnes — et leur existence était infiniment moins pénible qu’à Toulon.

Tout cela importait peu à Mourel, qui n’avait accepté la transportation que dans un seul but : s’évader un jour, si sa femme refusait de venir le rejoindre ; non pas s’évader au hasard, à la première occasion venue, pour être repris dès le lendemain ou pour être forcé, par les privations ou l’impossibilité d’aller plus loin, de réintégrer le pénitencier, mais seulement après avoir bien pesé toutes les chances de succès et les avoir mises de son côté.

Pour cela, il attendrait un an, deux, davantage encore, s’il le fallait.

Ah ! c’est que l’on racontait aux îles du Salut de terribles histoires d’évasions !

Tels fugitifs qui avaient essayé de s’échapper par les forêts vierges de l’intérieur avaient succombé aux piqûres des reptiles ; tels autres qui s’étaient sauvés à la nage avaient été la proie des requins, si nombreux dans les parages de la Guyane ; certains, pour ne pas mourir de faim dans les bois, étaient devenus cannibales et avaient été ramenés au pénitencier par les