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matins, en même temps que le café, ils avaient la même ration que l’équipage.

Ce n’était donc pas là un régime bien dur mais malheureusement il durait plusieurs semaines, car les navires qui faisaient à cette époque le service entre la France et la Guyane étaient tous des navires à voiles et d’une marche souvent inférieure.

Cependant la Fortune gagna assez rapidement le détroit de Gibraltar, et ses tristes passagers, qui d’ailleurs n’étaient pas étrangers à la mer, la plupart d’entre eux ayant été souvent en corvée à bord ou à Saint-Mandrier, de l’autre côté de la rade de Toulon, ne souffrirent pas trop ; mais quand, après avoir laissé derrière elle les côtes du Riff, toujours infestées de pirates comme au dix-septième siècle, Gibraltar et ses formidables batteries anglaises creusées dans le roc espagnol, Cadix et ses maisons blanches, la corvette entra dans l’Océan et dut lutter contre les mauvais temps, la traversée devint pénible, et le plus grand nombre des transportés ne tardèrent pas à regretter le bagne.

Ces hommes qui, au cours de leur existence criminelle, avaient couru tous les dangers et vu souvent la mort face à face, tremblaient au mugissement des vagues, au sifflement du vent dans les cordages, aux bonds du navire sur les flots, tant il est vrai que la mer est la grande dominatrice, et que le courage du marin est un courage à part, fait tout à la fois d’énergie, de calme, de croyance en Dieu et d’abnégation.

Mais la Fortune n’en poursuivait pas moins sa route au sud, pour gagner les vents alizés, qui la pousseraient vers sa destination.