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Et comprenant aussitôt qu’il serait maladroit à lui de repousser les avances amicales de son accouplé, qui, d’ailleurs, ne paraissait pas un méchant homme, il ajouta :

— Eh bien ! moi, j’ai fait des faux billets, j’en ai pour vingt ans.

— Des faux billets ?

Le paysan ne savait pas ce que cela voulait dire.

— Oui, des faux billets de la Banque de France, expliqua le mari de Rose.

— Diable ! fit avec admiration Rabot, vous êtes mariole (malin), vous ! Si vous le voulez, je ne vous aurai pas longtemps au bout de notre cadelle (chaîne), car pour peu que vous ayez des protecteurs, vous passerez bientôt dans les payols (les écrivains employés de bureaux). Moi, je ne sais pas seulement me servir d’une brodeuse (une plume). Je ne pourrais pas même taroquer mon santre (signer mon nom).

Le bas-Normand avait déjà remplacé son patois natif par l’ignoble argot des assassins et des voleurs.

Mais un coup de cloche mit fin à son enthousiasme.

L’heure du repas du soir sonnait à toute volée. Il entraîna Mourel et ils allèrent s’accroupir autour de la gamelle où leurs compagnons d’escouade puisaient déjà, gloutonnement, les fayots et les fèves de la soupe quotidienne, en y trempant leur biscuit de mer.

Car c’était là à peu près la nourriture ordinaire des forçats. Ils n’avaient de la viande que lorsqu’ils appartenaient à certaines catégories privilégiées et du vin que les jours de travail.

Il est vrai qu’ils pouvaient toujours se procurer d’autres aliments près du fricotier établi dans chaque