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pour elle doux et bon, ainsi qu’il l’était d’ailleurs avec tous ses gens, mais jamais elle n’avait pris place à sa table, et jamais non plus il n’avait eu pour elle autant d’égards, ni de semblables prévenances.

Ce qui se passait n’était-il pas la continuation de son rêve ! N’était-elle pas encore bien éveillée ?

Le mari de Lise rappela sa jolie convive à la réalité en la priant d’accepter de chacun des plats que lui offrait le maître d’hôtel ; mais Véra, qui ne se laissait servir qu’en rougissant, ne mangeait que du bout de ses dents de perle. Elle était cependant forcée de se rendre à l’évidence ; c’était bien elle, la fille de Soublaïeff, qui était là en face de son seigneur et maître.

Le souvenir de la princesse lui revenant alors tout à coup à l’esprit, elle se demanda pourquoi elle ne l’avait pas encore vue, pourquoi le prince ne l’avait pas conduite chez sa femme, pourquoi celle-ci n’était pas auprès de son mari. Que se passait-il donc ?

Une sorte de terreur instinctive l’envahissant, elle se leva brusquement et, joignant les mains, s’écria d’une voix suppliante, les yeux remplis de larmes :

— Pierre Alexandrowitch, que vous ai-je fait pour vous jouer de moi ? Que voulez-vous de votre servante ?

La jeune fille s’était exprimée en russe, en ajoutant au prénom du prince, ainsi que c’est la coutume, le prénom de son père. Pierre Olsdorf eut à son tour un moment de stupeur.

Il ordonna au maître d’hôtel de sortir, congédia Yvan du geste et, se rapprochant de Véra, il lui dit d’une voix tendre :

— Qu’avez-vous ? D’où vient cette émotion ? Comment pouvez-vous croire que je veuille me jouer de vous ?

Il l’avait entraînée jusqu’au divan, où elle prit place en tremblant.

Pierre poursuivit, en s’asseyant auprès d’elle :

— Vous êtes la fille d’un vieux serviteur pour lequel j’ai beaucoup d’estime et d’affection ; voilà ce qui doit vous rassurer tout d’abord. Lorsque j’ai fait part à votre père de mon désir de vous emmener à Paris, il ne m’a